jeudi, juin 05, 2008

Luc Dietrich


Le voyage initiatique de Luc Dietrich
La mort blanche
« Poursuivi par une horde de monstres, je fuis sur un sol sec, cherchant un trou pour me terrer . Je le trouve : c'est un puits béant au ras du sol. ( …) je vois au- dessus de moi une voûte blanche plus haute que le ciel( …)
Moi je monte , et la voûte monte et je suis mort et j'attends quelque chose. »
L'Injuste grandeur ou le livre des rêves

Ces lignes furent écrites en 1933, à Florence, par le poète Luc Dietrich relatant ses rêves et anticipant son propre devenir, à Saint- Lô bombardée, le 10 juin 1944.
Quels hasards régissent cet étrange parcours ? Quelle figure se cache sous ce nom, devenu celui d'une rue saint- loise- après délibération du conseil municipal du 4 mai 1976 ?
En 1932, Luc Dietrich , âgé de 19 ans, vient d'être sauvé de la drogue et de la délinquance grâce à l'amitié providentielle de Lanza del Vasto- futur disciple de Gandhi- Sous l'influence du « Grand Ami », il va construire sa personnalité et une oeuvre de poète , de photographe, de romancier :Le livre des rêves (1934), le Bonheur des Tristes, goncourable en 1935 , L'Apprentissage de la ville (1942).
Mais la célébrité ne peut suffire à combler sa soif de spiritualité, d'autant plus qu'à partir de 1937 se desserrent les liens noués avec Lanza lui-même en quête de sa propre voie.
Aussi , de 1939 à 1942 de nouvelles rencontres seront-elles décisives : elles se focalisent autour du « mage » Gurdjieff qui sera le guide de Luc, devenu l'ami du poète René Daumal, dans un « groupe de travail » gurdjieffien .
Depuis février 1944, Dietrich voyage ou séjourne à Saint-Lô , chez le docteur Benoît, afin de préparer un livre sur les malades mentaux .Il se rend à Paris le 21 mai pour assister Daumal mourant puis revient en Normandie où il partagera le quotidien des Saint -Lois sous les bombes.
Du lundi 5 juin au vendredi 9 juin, il fait des photos, note le compte- rendu des événements sur deux petites pages d'agenda au crayon gris, dans un style haché, révélateur du chaos.
Le mardi 6 juin en compagnie du docteur Benoît, il se rend au souterrain aménagé en salle d'opération ,s'improvise assistant (« Serai son aide . Passe donner mercurochrome. », si bien que dans la mémoire collective relayée par les érudits locaux, Luc Dietrich passera pour médecin .
Le samedi 10 juin dans le secteur du Bouloir, il est blessé, transporté à l'hôpital de campagne de saint- Lô , dicte à une infirmière son témoignage :le docteur Rougeau choqué à la tête, le docteur Benoît enseveli sous les décombres d'une cheminée( alors qu'il cherchait des médicaments), et sa propre blessure : « Ils avancent sur nous . Et juste au-dessus, ils lâchent leurs bombes .J'ai compté sept secondes puis la nuit . Je me sens aspiré par la tête et entraîné comme dans un mouvement spiraloïde en l'air . Je retombe comme une feuille morte, avec une vitesse de chute inférieure à la normale. Juste au moment où je touche le sol, je suis battu par les pierres ( …) Puis trois pierres me tombent dessus .L'une sur le ventre ,plate et un peu ronde , une sur le pied droit, une sur le pied gauche mais je ne sens aucune douleur de ces choses. Je me dis : « C'est drôle, quand on est mort, on vit encore , L'obscurité se dissipe. »
La blessure , apparemment anodine provoquera une septicémie dont Luc Dietrich, semi- paralysé , privé de parole décèdera le 12 août 1944, à la clinique Lyautey , à Paris , avec à son chevet Gurdjieff et Lanza del Vasto . Ses restes reposent à Recologne depuis 1947.
Marcelle Simon
Sources :Luc Dietrich, le cahier douze ,Frédéric Richaud , Le temps qu' il fait

2 commentaires:

  1. Le parcours d’une vie, le destin, la rencontre
    L’année dernière nous avons fait la connaissance d’un homme échappé de la délinquance grâce à une rencontre aussi, et il s’est ensuite, après la peinture à bord d’une roulotte, consacré à créer un jardin merveilleux.
    Alors là, un jardin de ses mains, en étant toute ma journée dedans et seul avec sa compagne. Des vies de roman.
    Quant à la disparition de Luc Dietrich en pleine jeunesse après avoir eu le temps de laisser une œuvre, elle me fait penser aux sœurs Brontë, à Jane Austen, à Alain Fournier, à Raymond Radiguet.
    Je pense quel dommage cette perte, et en même temps, tant mieux, ce gain...
    A l’époque, on ne se remettait ni de la phtisie, ni de la septicémie, sans parler des guerres et de nos jours le sida ou le suicide.
    (Destins subis ou choisis)

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  2. Etonnant parcours...C'est beau, cette renaissance par l'art, quelle qu'en soit la forme .
    Luc Dietrich a vécu, lui,en marginal, dans un wagon abandonné...
    Il faut lire "le Bonheur des Tristes et "l'apprentissage de la Ville " En 2002, une adaptation télévisée a été faite, mais très décevante.
    Les vies trop courtes,fulgurantes mais intenses nous émeuvent et nous fascinent en même temps
    (Barbara:"...qu'on ne me voie jamais faner sous me dentelle")
    Miss Yves

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