jeudi, septembre 23, 2010

Les Fantômes de Trouville

Par cette expression pleine de mélancolie, Gustave Flaubert exprime son attachement quasi obsessionnel aux figures liées à Trouville qui l' ont marqué à vie:

- Elsa Schlésinger, belle jeune femme de 26 ans dont il ramasse le châle, un beau jour du mois d'août 1836 sur la plage.
A partir de cette rencontre sans lendemain- si ce n'est quelques promenades estivales avec Elsa, son compagnon Maurice Schlésinger et leur petite fille, Marie- Flaubert composera en 1838 un court récit, Mémoires d'un Fou, sa première oeuvre aboutie et il en gardera le thème dans l'Education sentimentale,(1869) dont l'incipit évoque l'éblouissement du jeune homme.

"Ce fut comme une apparition.
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses, qui palpitaient au vent, derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait en plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpaient sur le fond de l’air bleu.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manoeuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait... Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites.
Une négresse, coiffée d’un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L’enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s’éveiller. Elle la prit sur ses genoux : « Mademoiselle n’était pas sage, quoiqu’elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l’aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. » Et Frédéric se réjouissait d’entendre ces choses, comme s’il eût fait une découverte, une acquisition.
Il la supposait d’origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené cette négresse avec elle.
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :
- Je vous remercie, monsieur. Leurs yeux se rencontrèrent.
- Ma femme, es-tu prête ? cria le sieur Arnoux apparaissant dans le capot de l’escalier."
( Lors de l’été 1853, Flaubert retournera sur les lieux de cette rencontre, comme en pélerinage, logeant au-dessus d'une pharmacie (Voir ici ) quai Ferdinand Moureaux, et à l’hôtel Bellevue. Voir ici)


-Caroline, la soeur cadette de Gustave, devenue Virginie, dans Un coeur simple , conte qui transpose les vacances trouvillaises des deux enfants:

"Quand le temps était clair, on s'en allait de bonne heure à *la ferme de Geffosses. La cour est en pente, la maison dans le milieu, et la mer, au loin , apparaît comme une tache grise ."
(Rappelons que les parents de Madame Flaubert possédaient le domaine de Gefosses, près de Pont-L'Evêque et de Saint-Hymer, et que la famille , dès 1834 se rendait en villégiature à Trouville, la plage la plus proche)

-Caroline, sa nièce, devenue Commanville par un mariage qui conduira la famille à la faillite: pour éviter le déshonneur, l'écrivain devra, en 1875, vendre sa ferme de Deauville (200 000 francs) dont le revenu annuel d'environ 600 000 francs assurait sa subsistance.
Caroline Commanville a mis en évidence les liens unissant la rédaction d'Un coeur simple aux souvenirs de son oncle:
"Il a écrit Un coeur simple après la mort de sa mère? Peindre la ville où elle était née, le foyer où elle avait joué,ses cousins, compagnons de son enfance , c'était la retrouver, et cette douceur a contribué à faire sortir de sa plume ses plus touchantes pages, celles peut-être où il a le plus laissé l'homme sous l'écrivain".
(Autres photos personnelles de Flaubert,  dans le square qui porte son nom, à Trouville)



11 commentaires:

  1. *** Bonjour Chère Miss_Yves ! :o) C'est formidable de découvrir Gustave Flaubert sur la côte normande aujourd'hui à travers tes photos et les mots bien choisis. MERCI pour ce post qui joint la culture au plaisir. BISES et bon premier jour de l'automne à toi Miss_Yves ! ***

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  2. Après la visite de Rhodes en cmpagnie de MM,Je commence la journée par un moment de littérature, c'est bien !

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  3. Pratiquement tous les ponts sur la Loire ont sauté au sébut de la guerre, minés, par les troupes françaises.
    A leur reconstruction, il ont été remplacés par bon nombre de ponts suspendus, sauf celui de Gien, qui a eu la peau dure (à voir dans de prochains posts).
    Le pond suspendu de Langeais n'a pas été touché et date d'avant guerre. C'est un pont suspendu aussi. ses piles sont prolongées par des tours et des châtelets, dans le style du Château, il est de toute beauté.

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  4. J'ai lu que Maupassant était le fils naturel de Flaubert... Ils sont d'ailleurs tous deux bien dans la même lignée.

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  5. Le pigeon doit être un admirateur de Flaubert!

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  6. Cergie:le fils spirituel, c'est sûr...Quand au reste...

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  7. J'aime lire ces phrases qui nous content une belle rencontre qui se passa à Trouville...Tellement romantique!!!!
    L'écriture de Flaubert me fait toujours penser à celle de George Sand, dans "Indiana" j'ai trouvé aussi cette "ambiance" et ce côté passionné!!!
    Tu me donne envie de me replonger dans "l'éducation sentimentale"
    A bientôt, quand tu seras disponible?

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  8. Ce soir, séance hors la loi.
    dimanche, peut-être, c'est compliqué

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  9. He wears that pigeon with an air of jaunty insouciance. A fine capture!

    Thank you for the haiku! Beautiful!

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  10. Chère Miss Yves! J'aime cette période romantique avec les grands écrivains. J'ai lu beaucoup de livres anglais de ce temps comme Jane Austin et les soeurs Bronte. Mais jamais Flaubert, bien que je connais son livre Madame Bovary. Merci de votre post!

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