dimanche, décembre 09, 2012

Bison ravi , vacances à Landemer (2)


C'est à Landemer que la famille de Boris Vian, au temps de l'insouciance, dans les années 20 et 30  avait l'habitude de passer des vacances qui marqueront le futur écrivain.
L'excellente exposition du manoir du Tourp retrace la vie et l'oeuvre de 
ce génial ingénieur-musicien-bricoleur-compositeur, écrivain etc
liens  ici et là

Les trois chalets en bois de Norvège , peints en vert (les Vian occupaient celui du haut) et donnant sur la mer ont été démolis pendant la guerre pour la construction du mur de l'Atlantique.



"Jamais encore j’ai osé y retourner", note-t-il dans son journal. "J’ai les foies, ils ont tout rasé, moi je vais chialer comme un môme."



Les trois frères , Boris, Alain, Lélio et leur soeur. Ninon -profitaient en toute liberté de la plage en contrebas sous les rochers.

Ces souvenirs merveilleux, sont  transposés  de manière étrange dans le roman très sombre , pour ne pas dire noir qu'est   l'Arrache-coeur (publié en 1953) lien ici


Les trumeaux  Noël, Joël et Citroën sont l'objet de l'amour étouffant de Clémentine, leur mère.

"Comme je suis inquiète, se dit Clémentine, accoudée à sa fenêtre.
Le jardin se dorait au soleil.

Je ne sais pas où sont Noël, Joël ni Citroën. En ce moment ils peuvent être tombés dans le puits, avoir mangé des fruits empoisonnés, avoir reçu une flèche dans l'oeil si un enfant joue sur le chemin avec une arbalète, attraper la tuberculose si un bacille de Koch se met en travers, perdre connaissance en respirant des fleurs trop parfumées, se faire piquer par un scorpion ramené par le grand-père d'un enfant du village, explorateur célèbre revenu récemment du pays des scorpions, tomber d'un arbre, courir trop vite et se casser une jambe, jouer avec l'eau et se noyer, descendre la falaise et trébucher et se rompre le cou, s'écorcher à un vieux fil de fer et contracter le tétanos ; ils vont aller au fond du jardin et retourner une pierre ; sous la pierre il y aura une petite larve jaune qui va éclore instantanément, qui va s'envoler vers le village, s'introduire dans l'étable d'un méchant taureau, le piquer près du nase ; le taureau sort de son étable, il démolit tout: le voilà qui part sur le chemin dans la direction de la maison, il est comme un fou et il laisse des touffes de poils noirs dans les virages en s'accrochant aux haies d'épine-vinette ; juste devant la maison, il se rue tête baissée contre une charette lourde tirée par un vieux cheval à moitié aveugle. Sous le choc la charrette se disloque et un fragment de métal est projeté en l'air à une hauteur prodigieuse : c'est peut-être une vis, un boulon, un écrou, un clou, une ferrure de brancard, un crocher de l'attelage, un rivet des roues, charronnées puis brisées, réparées au moyen d'éclisses de frêne taillées à la main et le morceau de fer monte en sifflant vers le ciel bleu. Il passe par -dessus la grille du jardin, mon Dieu, il retombe, il retombe et en tombant effleure l'aile d'une fourmi volante et l'arrache, et la fourmi mal dirigée, perdant sa stabilité, vague au-dessus des arbres comme une fourmi abîmée, s'abat soudain dans la direction de la pelouse, mon Dieu, il y a là Joël, Noël et Citroën, la fourmi tombe sur la joue de Citroën et, rencontrant peut-être des traces de confiture, le pique..."


(...)


 « Je suis une bonne mère. Je pense à tout ce qui peut leur arriver. Tous les accidents qu'ils risquent, j'y pense d'avance. Et je ne parle pas des dangers qu'ils courront lorsqu'ils seront plus grands. Ou lorsqu'ils sortiront du jardin. Non. Ceux-là, je les garde en réserve. J'ai dit que j'y penserais par la suite. J'ai le temps. Il y a déjà tant de catastrophes à imaginer. Tant de catastrophes. Je les aime puisque je pense à ce qui peut leur arriver de pire. Pàur le prévoir. Pour le prévenir, je ne me complais pas dans ces évocations sanglantes. Elles s'imposent à moi. Ceci prouve que je tiens à eux. J'en suis responsable. Ils dépendent de moi. Ce sont mes enfants. Je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour leur éviter les calamités innombrables qui les guettent. Ces anges. Incapables de se défendre, de savoir ce qui est bon pour eux. Je les aime. C'est pour leur bien que je pense à tout cela. cela ne me fait aucun plaisir. Je frémis à l'idée, qu'ils peuvent manger des baies empoisonnées, s'asseoir dans l'herbe humide, recevoir une branche sur la tête, tomber dans le puits, rouler du haut de la falaise, avaler des cailloux, se faire piquer par les fourmis, les abeilles, par les les scarabées, les ronces, les oiseaux, ils peuvent respirer des fleurs, les respirer trop fort, une pétale leur entre par la narine, ils ont le nez obstrué, cela remonte au cerveau, ils meurent, ils sont si petits, ils tombent dans le puits, ils se noient, la branche s'écroule sur leur tête, le carreau cassé, le sang, le sang...
Elle n'en pouvait plus. Sans faire de bruit, elle se leva, et regagna à pas feutrés la chambre des enfants. Elle s'assit sur une chaise. De sa place elle les voyait tous les trois. Ils dormaient d'un sommeil sans rêves. Peu à peu elle s'assoupit à son tour, crispée, inquiète. Elle tressaillait parfois dans son sommeil comme un chien qui songe à la harde.
Boris Vian - L'arrache-coeur. Pages 133-138. Le livre de poche. Edition 47. Octobre 2008

Comment y échapper ?
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20 commentaires:

  1. Anonyme8:10 AM

    ✽.¸¸.•*`❀✽.¸¸.•✽
    Coucou Miss_Yves !

    Je ne savais pas que Boris Vian avait passé des vacances à Landemer !!!! Je suis ravie de l'apprendre aujourd'hui chez toi.

    J'aime tellement cet homme aux multiples talents ! L’œuvre que je retiens le plus de lui est forcément l'Écume des jours ! et puis bien d'autres encore !

    J'aime regarder tes photos parce que l'on voit les photos en noir et blanc de sa jeunesse ... c'est très beau !!!

    Merci pour ce beau partage culturel Miss_Yves ! :o)

    GROS BISOUS !!!!
    ✽.¸¸.•*`❀✽.¸¸.•✽

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  2. Dommage de n'avoir pas envie de me geler devant ces panneaux qui racontent l'enfance et la vie de Boris mais je me contenterais de ton billet ! Merci à toi d'avoir braver le froid !!!

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  3. Enitram: froid sec ce jour-là, ni pluie , ni brume!OUf !

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  4. C'est terrible une telle angoisse de la part d'une mère, comment les enfants peuvent-ils aller de l'avant avec confiance dans la vie ?
    J'ai entendu à propos de l'angoisse de la mort à laquelle nous sommes tous destinés, qu'heureusement nous ne croyons pas être concernés sinon nous ne saurions vivre et prendre des risques donc (par exemple recevoir une carapace de tortue sur la tête)

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  5. Quel contraste entre le texte qui relate les angoisses maternelles et la liberté dont pouvaient jouir les enfants Vian (d'après les commentaires des photos) :-)

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  6. Encore une découverte des lieux mythiques du Cotentin.
    Il va falloir que j'organise un autre séjour...
    Bonne semaine A + :))

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  7. ah oui merci d'avoir risqué de rencontrer un bacille dans ce froid sec, qu'un spectateur tousse et crache ses poumons à côté de toi, que tu glisses sur une flaque gelée te faisant une entorse ou pire une vilaine fracture te rendant boiteuse pour le reste de tes jours, que la fourmi qui aurait pu piquer Citroën rencontre ta joue et ne la loupe pas... bref que de soucis on aurait pu se faire mais, rassurée je suis, de voir que tu as pu poster un message aussi documenté et intéressant.

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  8. Cergie: je crois que B. V a transposé l'expérience personnelle des angoisses de sa mère , qu'il surnommait "Mère Pouche"
    Ton exemple sur la peur de 'la carapace de tortue" me rappelle l'histoire drôle de Bigard (que je n'aime pas d'ordinaire" La Chauve-souris"
    Fifi: un vrai paradoxe, à la mesure des angoisses maternelles ...pesantes
    Daniel: l'expo n'y sera plus, mais tu pourras faire à pied le sentier balisé menant aux anciennes cabanes
    Marguerite-Marie: ton texte à la manière de B.V. est formidable!
    .

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  9. Je ne connais pas l'histoire de Bigeart mais la carapace de tortue je l'ai retrouvée ici :

    http://fr.necropedia.org/quid/Les_morts_insolites_(Antiquit%C3%A9)
    Pour te gagner du temps j'ai photocopié le passage intéressant :

    Tombée du ciel
    En 456 avant J.-C. le dramaturge grec Eschyle, à qui l'on avait prédit qu'il mourrait écrasé par la chute d'une maison, vivait prudemment en rase campagne dans le sud de la Sicile. Il mourut la tête fracassée par la carapace d'une tortue, lâchée par un aigle qui avait confondu son crâne chauve avec une pierre.

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  10. http://paris-ile-de-france.france3.fr/info/des-serres-rehabilitees-grace-au-marsupilami-73297430.html

    C'est là que j'ai appris pour la réhabilitation, j'aimais beaucoup la serre auparavant mais bien sûr il est mieux qu'elle ait été rénovée.
    Je n'ai pas vu le film mais sans doute il se déroule en moultes endroits.

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  11. Mon mari aimerait beaucoup visiter le souterrain, sans nul doute !

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  12. "Laud" était il un saint ? (le vitrail semble récent)!
    Bonne soirée :))

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  13. Oui!
    http://www.paroisse-stlaud50.cef.fr/histo_st_laud.php

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  14. Merci pour l'info.
    Pauvre Saint Laud il semblerait qu'il est eu du mal à trouver le repos après être passé ad patres !
    A + :))

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  15. Je ne rappelle pas que quand nous étions en vacances à la campagne ou que nous allions sals les parents jouer au bord du canal ou garder les vaches sur les greves de la Loire, que notre Mère s'inquiétant tantpour nous.
    J'aime son côté compositeur, chanteur. A ma grande honte je ne connais pas cpoté écrivain. On se fait une vilaine imporession d' un écrivain quand on vous interdit de lire certains de ses livres quand vous êtes ados.

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  16. Merci pour cette découverte... Ça donne envie d'aller jeter un coup d’œil. A voir, pour cet été...

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  17. tu me diras ce que ton gendre a pensé de sa visite dans le musée de l'armée "terracota"

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  18. Tsuki: le paysage et le sentier car l'expo ne dure que jusqu'au 23 déc 2012
    Marguerite-Marie: il a été impressionné!

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  19. à ce boris qui savait tout faire

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  20. Conclusion: il ne faut pas lire "l'arrache coeur" quand on a des enfants en bas age! :-)
    Une bien belle documentation que tu nous presentes la.

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