lundi, juin 24, 2013

Centaurée ou bleuet ?

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Les bleuets.

Tandis que l'étoile inodore 
Que l'été mêle aux blonds épis 
Emaille de son bleu lapis 
Les sillons que la moisson dore, 
Avant que, de fleurs dépeuplés, 
Les champs aient subi les faucilles, 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Entre les villes andalouses, 
Il n'en est pas qui sous le ciel 
S'étende mieux que Peñafiel 
Sur les gerbes et les pelouses, 
Pas qui dans ses murs crénelés 
Lève de plus fières bastilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Il n'est pas de cité chrétienne, 
Pas de monastère à beffroi, 
Chez le Saint-Père et chez le Roi, 
Où, vers la Saint-Ambroise, il vienne 
Plus de bons pèlerins hâlés, 
Portant bourdon, gourde et coquilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Dans nul pays, les jeunes femmes, 
Les soirs, lorsque l'on danse en rond, 
N'ont plus de roses sur le front, 
Et n'ont dans le cœur plus de flammes ; 
Jamais plus vifs et plus voilés 
Regards n'ont lui sous les mantilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

La perle de l'Andalousie, 
Alice, était de Peñafiel, 
Alice qu'en faisant son miel 
Pour fleur une abeille eût choisie. 
Ces jours, hélas ! sont envolés ! 
On la citait dans les familles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Un étranger vint dans la ville, 
Jeune, et parlant avec dédain. 
Etait-ce un maure grenadin ? 
Un de Murcie ou de Séville ? 
Venait-il des bords désolés 
Où Tunis a ses escadrilles ?... 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

On ne savait. – La pauvre Alice 
En fut aimée, et puis l'aima. 
Le doux vallon du Xarama 
De leur doux péché fut complice. 
Le soir, sous les cieux étoilés, 
Tous deux erraient par les charmilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

La ville était lointaine et sombre ; 
Et la lune, douce aux amours, 
Se levant derrière les tours 
Et les clochers perdus dans l'ombre, 
Des édifices dentelés 
Découpait en noir les aiguilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Cependant, d'Alice jalouses, 
En rêvant au bel étranger, 
Sous l'arbre à soie et l'oranger 
Dansaient les brunes andalouses ; 
Les cors, aux guitares mêlés, 
Animaient les joyeux quadrilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

L'oiseau dort dans le lit de mousse 
Que déjà menace l'autour ; 
Ainsi dormait dans son amour 
Alice confiante et douce. 
Le jeune homme aux cheveux bouclés, 
C'était don Juan, roi des Castilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Or c'est péril qu'aimer un prince. 
Un jour, sur un noir palefroi 
On la jeta de par le roi ; 
On l'arracha de la province ; 
Un cloître sur ses jours troublés 
De par le roi ferma ses grilles… 
Allez, allez, ô jeunes filles, 
Cueillir des bleuets dans les blés !

Le 13 avril 1828.
 

Victor Hugo, Les Orientales (1829)

6 commentaires:

  1. Superbes centaurées !
    C'est sans doute la grisaille du ciel qui est à l'origine de tes fleurs bleues. Comme je te comprends ! ces fleurs sont une fête pour les yeux en attendant que le vent veuille bien faire le ménage :)

    Suivant la métamorphose du billet précédent dans lequel la petite fleur bleue devient rouge, ici le bleu des bleuets du père Hugo
    Allez, allez, ô jeunes filles,
    Cueillir des bleuets dans les blés
    me semble faire écho au rouge des tabliers de l'ami Brassens :
    Enfants, voici des bœufs qui passent,
    Cachez vos rouges tabliers
    .

    Merci pour la découverte de la ballade d'Alice de Peñafiel, dont j'ignorais tout (contrairement à la chanson de Brassens).

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  2. Une fleur pleine de délicatesse. Je la vois avec des coquelicots et des marguerites.

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  3. Coucou Miss Yves.
    Bleuets d'azur dans les grands blés mur...
    C'est la chanson qui le dit !
    Il en a écrit ce sacré Victor...
    Bonne journée A + :))

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  4. Tout en délicatesse, image et poème !

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  5. Tilia: j'aime aussi cette ballade de V.Hugo, la légende de la nonne, chantée par Brassens

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  6. Poésie qu'il m'a été agréable de relire plus bleuet ou centaurée?

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