Cette déclaration de Marcel Storr (1911-1976) traduit ce qu'incarnait l'art pour lui : une évasion, une revanche sur sa vie marquée par l'abandon, les mauvais traitements, la surdité, l'illettrisme, la solitude.
La
biographie romancée de la psychanalyste Françoise Cloarec, paru en 2010, s'était attaché à reconstituer la personnalité de ce peintre visionnaire, parfois classé - abusivement ?-dans la catégorie de l'art brut de Jean Dubuffet.
Hommage posthume émouvant des collectionneurs , Liliiane et Bertrand Kempf qui ont découvert, par hasard en 1971 l'oeuvre de cet autodidacte , simple cantonnier, qui répugnait d'ailleurs à la montrer, mais qui la considérait à partir de 1965 (date de construction des premières tours de la Défense) comme un ensemble de projets architecturaux destinés à être présentés au président des Etats -Unis, une fois Paris détruit par une catastrophe nucléaire .
Deux tableaux inachevés permettent de comprendre la démarche de Marcel Storr: commençant par le coin inférieur gauche, sans plan préétabli, il remplit l'espace par des dessins finement crayonnés pour être ensuite aquarellés puis vernis.
Stupeur et émerveillement se lisaient dans les regards des nombreux visiteurs de ce samedi 29 janvier 2012,en découvrant environ soixante dessins classés par ordre chronologique: des monuments religieux de style naïf jusqu'aux aux grands formats des villes futuristes traitées en couleurs chaudes et mordorées.
A l'instar du facteur Cheval, Marcel Storr s'est constitué un monde parallèle compensateur ,
et ses cités babeliennes me font penser, curieusement , au poème de Charles Baudelaire:
"Rêve parisien "
À Constantin Guys.
De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.
Le sommeil est plein de miracles !
Par un caprice singulier
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,
Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.
Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini,
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni ;
Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal,
Se suspendaient, éblouissantes,
À des murailles de métal.
Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient,
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.
Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers ;
C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques ; c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient !
Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.
Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté ;
Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé ;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.
Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel !
Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté !
Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !)
Un silence d'éternité.
II
En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits ;
La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.
Baudelaire, Les fleurs du Mal
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Au
Pavillon Carré de Baudouin,
du 16 décembre 2011 au 31 mars 2012 (prolongation).
L'exposition
Marcel Storr, bâtisseur visionnaire est présentée par la mairie du 20e arrondissement et la mairie de
Paris, avec la collaboration de Liliane et Bertrand Kempf (les
collectionneurs), Laurent Danchin (commissaire de l'exposition) et
Géraldine Gauvin (coordination muséographique).
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liens/ ouvrage collectif
ici
Biographie romancée de Marcel Storr par Françoise Cloarec
/Blog le poignard subtil
ici
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Articles / blog d'Enitram
ici et
là
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