dimanche, avril 19, 2009

le Grand Balcon 2-Cherbourg



Lieu jadis familier aux Cherbourgeois, ce café est cité dans un roman de Kléber Haedens, Adios ,( publié chez Grasset) à propos d' une anecdote démythifiant l'univers familial, "l'affaire du Grand Balcon" :
"Je ne sais si tous les enfants pensent la même chose de leur famille. Durant mon jeune âge j'ai considéré mes parents comme des créatures semi-divines, entièrement admirables, des êtres d'une science complète, d'une sagesse absolue, supérieurs à tous les autres, simples cloportes auprès d'eux. Deux incidents apparemment sans importance et d'ailleurs vite étouffés firent dans ma confiance une brèche qui n'allait cesser de s'élargir. A la moindre défaillance des parents du genre noble le monument factice de la vénération familiale laisse tomber des pierres et le masque d'or commence à s'écailler.
C'était à Cherbourg. Nous venions de cheminer pendant près de trois heures rue de l'Abbaye. Je devais avoir une douzaine d'années à cette époque, je marchais toujours entre mon père et ma mère, mais on ne me tenait plus par la main et je pouvais de loin en loin faire une remarque, à condition qu'elle ne soit pas "sotte". J'avais demandé, une demi-heure plus tôt, s'il n'était pas possible de pousser jusqu'au port. J'aimais voir de près les bateaux gris que mon père appelait les contre-torpilleurs et de loin les cheminées des transatlantiques de la Cunard Line mouillés dans la rade. Mon père s'était contenté de répondre brièvement : "Fais ce qu'on te dit".
Un de ses principes était qu'on ne doit jamais donner d'entorses aux itinéraires. Cependant mon projet devait lui trotter dans la tête, car il dit soudain d'une voix placide : "On pourrait peut-être aller jusqu'à la place Napoléon. Qu'en dis-tu, maman ?"

Ma mère ne répondit pas tout de suite. Elle était méfiante comme le renard des sables. Pour elle, cachait un piège toute proposition étrangère au dialogue qu'elle avait fixé une fois pour toutes avec mon père et qu'ils se récitaient ponctuellement chaque jour. Mais la curiosité chez elle égalait la méfiance. Elle voulut voir ce que dissimulait cette idée à la fois insolite et fade d'aller du même pas"jusqu'à la place Napoléon"

"l'empereur était toujours à califourchon sur son cheval de bronze, un doigt pointé sur l'Angleterre. Mon père tira vers la droite en direction du quai Coligny".

L'objectif du père est de pousser jusqu'au café du *Grand Balcon," honnête caf'conc fréquenté par de sages familles bourgeoises en fin de promenade " et par ses collègues, mais que la mère voit comme un lieu de perdition, après y avoir entendu la chanteuse Conchida Valladolid interpréter Carmen. Jérôme, le narrateur , découvre, lui, un autre monde:
"La peau brune de Conchita Valladolid, ses regards, sa voix venaient de me révéler l'extase et la menace. En sortant du Grand Balcon, je vis comme un autre monde la colline du Roule au temps de son ancien ermitage, l'eau plate du port, les pavés du quai Alexandre III où j'avais rêvé de fuite aux îles Anglo- Normandes, et j'allai en dansant vers Equeurdreville dans le soir gris du Cotentin ." Adios, Les cahiers Rouges, Grasset

Première étape vers la découverte de la duplicité des adultes," l'affaire du grand balcon" sera suivie, dans la chronique familiale, par le "scandale du café des colonnes "à la Rochelle et par d'autres épisodes laissant entrevoir les sages parents sous un tout autre jour .

*La façade abîmée de l’ancien café du Grand balcon, devenu ensuite cinéma Le Central, était de style second Empire, avec cariatides et guirlandes de fleurs.

(Pas de photos personnelles, hélas ...de ce café aujourd'hui disparu Aucune trace sur les sites consultés . Ci-dessous, carte postale ancienne représentant le théâtre- de style Second Empire avec cariatides-et , le jouxtant, le café du théâtre )

lire:
s.huet.free.fr/dialektos/folio/klebhaed1.htm

J'ai découvert assez tard cet écrivain né en 1913 à Equeurdreville.
Son père
, militaire de carrière avait servi au Sénégal comme officier d'artillerie. C'est le milieu conformiste des Dutoit, fonctionnaires coloniaux , qui est évoqué avec une ironie légère dont l'extrait ci-dessus (la promenade dans Cherbourg, de la rue de l'abbaye à la place Napoléon ) donne une idée .

Biographie de K Haedens:

www.evene.fr/celebre/biographie/kleber-haedens-6165.php
fr.wikipedia.org/wiki/Kléber_Haedens

Ses goûts épicuriens , ses chroniques sur le rugby lui donnent une aura fort sympathique, à l'instar d'Antoine Blondin- célèbre pour sa passion du cyclisme et de l'alcool -et classé comme lui , dans l'école des Hussards, tendance politique"anarchiste de droite". Beaucoup moins sympathique, en revanche , son appartenance à l'Action française, d'où la polémique suscitée par l'initiative du maire de la Garenne-Colombes de donner au collège le nom de cet écrivain- pourfendeur de Victor Hugo et de Zola, dans son Histoire de la littérature française- et qui , de plus a écrit dans le journal "Je suis partout". Invité à l'inauguration du collège, Jean d'Ormesson s'est fait l'avocat de Kléber Haedens , qu'il a qualifié "de type absolument charmant"
Voir liens /polémique :
passouline.blog.lemonde.fr/2008/11/24/le-ton-monte-a-la-garenne-colombes/
www.non-a-haedens.fr/france3.htm /bibliobs.nouvelobs.com/20081126/8937/jean-
dormesson-kleber-haedens-etait-un-type-absolument-charmant

bibliobs.nouvelobs.com/20090204/10390/non-a-kleber-haedens

12 commentaires:

  1. Un rapide petit coucou. Je n'ai pas le temps de tout lire ce matin... A + ;-))

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  2. "Rigolo" cette histoire de duplicité napoléonienne ! Comme quoi, dans les ententes de façade, il y a des fissures et des petites manoeuvres par lesquelles l'une (ou l'une) tente d'ouvrir un petit espace d eliberté !

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  3. C'est quand même bizarre que toutes les statues du bord de mer en veulent à l'Angleterre, à Dunkerque c'est Jean Bart qui brandit son épée vers ce pays...
    Je ne connaissais pas non plus cet écrivain, maintenant oui.

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  4. Tu n'a pas lésiné sur les moyens...
    Textes plus images...
    Bonne journée...:o))

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  5. Mélanie: la suite est encore plus drôle! Notamment avec le rôle que joue un certain capitaine Mortiféro,(bien nommé )vis-à vis des trois membres de cette famille si conventionnelle:père, mère, et fils .

    Lyliane: les statues témoignent donc des luttes entre la France et l'Angleterre , Ah! "Perfide Albion" !

    Daniel, à défaut d'enseignes nouvelles ...

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  6. On sent si bien la démystification de Kléber Haedens à la lecture.
    Elle commencerait vers 7 ans à mon humble avis mais se poursuit jusqu'à l'âge adulte et parfois en vapeur renversée...
    Il faudrait pouvoir consulter une liste des noms de commerces aujourd'hui disparus pour les réintégrer d'une façon ou d'une autre dans nos vies.
    Cela donne envie de lire Adios. Et très joli rendu avec les photos.

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  7. Thérèse, ce que tu dis de la vapeur renversée est juste et me rappelle Mark Twain
    (citation approximative )" Jusqu'à l'âge de 18 ans, j'ai considéré mon père comme un imbécile, mais passé 18 ans, c'est fou ce que le bonhomme avait fait comme progrès !"

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  8. Thérèse,j'aime surtout la phrase "L'empereur était toujours à califourchon sur son cheval de bronze....", que j'ai essayé de traduire en photo -
    Dommage que je n'aie pas eu de photos de la rue de l'Abbaye, tout Cherbourgeois est à même de saisir le sel de cette précision :trois heures pour cheminer dans cette rue !

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  9. Miss, je ne comptais pas m'étendre sur les Templiers, non je n'ai pas fait des études d'histoire mais les recherches dans lesquelles j'ai été entrainée par plaisir pour mon diplôme montrent bien que l'on peut s'intéresser à tout ce qui modèle un environnement.

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  10. La démystification des parents, Pagnol l'a bien montrée. Et sa grand mère âgée plantant sa dernière dent dans son grand père par jalousie pour des faits atteints par la prescription !
    (On pourrait aussi aborder la question de la mémoire heureusement sélective des enfants)

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  11. Un post très littéraire ce matin qui m'oblige à l'être aussi puisque j'ai tout lu du début jusqu'à la fin. C'est presque mieux qu'un livre. J'y ai pris du plaisir.
    Tu as fais un grand saut dans l'histoire, des Templiers à Napo.

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  12. Merci, Claude, de ta visite !

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