mercredi, août 12, 2009

Luc Dietrich (1913-1944)



Le voyage initiatique de Luc Dietrich

La mort blanche

« Poursuivi par une horde de monstres, je fuis sur un sol sec, cherchant un trou pour me terrer . Je le trouve : c’est un puits béant au ras du sol. ( …) je vois au- dessus de moi une voûte blanche plus haute que le ciel( …)

Moi je monte , et la voûte monte et je suis mort et j’'attends quelque chose. »


Ces lignes, extraites de l'injuste grandeur, ou le livre des rêves furent écrites en 1933, à Florence, par le poète Luc Dietrich relatant ses rêves et anticipant son propre devenir, à Saint- Lô bombardée, le 10 juin 1944.

Quels hasards régissent cet étrange parcours ? Quelle figure se cache sous ce nom, devenu celui d’une rue saint- loise- après délibération du conseil municipal du 4 mai 1976 ?

En 1932, Luc Dietrich ,âgé de 19 ans, vient d’être sauvé de la drogue et de la délinquance grâce à l’amitié providentielle de Lanza del Vasto- futur disciple de Gandhi- Sous l’influence du « Grand Ami », il va construire sa personnalité et une oeuvre de poète , de photographe, de romancier :Le livre des rêves (1934), le Bonheur des Tristes, goncourable en 1935 , L’Apprentissage de la ville (1942).

Mais la célébrité ne peut suffire à combler sa soif de spiritualité, d’autant plus qu’à partir de 1937 se desserrent les liens noués avec Lanza lui-même en quête de sa propre voie.

Aussi , de 1939 à 1942 de nouvelles rencontres seront-elles décisives : elles se focalisent autour du « mage » Gurdjieff qui sera le guide de Luc, devenu l’ ami du poète René Daumal, dans un « groupe de travail » gurdjieffien .

Depuis février 1944, Dietrich voyage ou séjourne à Saint-Lô , chez le docteur Benoît, afin de préparer un livre sur les malades mentaux .Il se rend à Paris le 21 mai pour assister Daumal mourant puis revient en Normandie où il partagera le quotidien des Saint -Lois sous les bombes.

Du lundi 5 juin au vendredi 9 juin, il fait des photos, note le compte- rendu des événements sur deux petites pages d’agenda au crayon gris, dans un style haché, révélateur du chaos.

Le mardi 6 juin en compagnie du docteur Benoît, il se rend au souterrain aménagé en salle d’opération ,s’improvise assistant (« Serai son aide . Passe donner mercurochrome. », si bien que dans la mémoire collective relayée par les érudits locaux, Luc Dietrich passera pour médecin .

Le samedi 10 juin dans le secteur du Bouloir, il est blessé, transporté à l’hôpital de campagne de saint- Lô , dicte à une infirmière son témoignage :le docteur Rougeau choqué à la tête, le docteur Benoît enseveli sous les décombres d’une cheminée( alors qu’il cherchait des médicaments), et sa propre blessure : « Ils avancent sur nous .Et juste au-dessus, ils lâchent leurs bombes .J’ai compté sept secondes puis la nuit .Je me sens aspiré par la tête et entraîné comme dans un mouvement spiraloïde en l’air .Je retombe comme une feuille morte, avec une vitesse de chute inférieure à la normale. Juste au moment où je touche le sol, je suis battu par les pierres ( …) Puis trois pierres me tombent dessus .L’une sur le ventre ,plate et un peu ronde , une sur le pied droit, une sur le pied gauche mais je ne sens aucune douleur de ces choses. Je me dis : « C’est drôle, quand on est mort, on vit encore , L’obscurité se dissipe. »

La blessure , apparemment anodine provoquera une septicémie dont Luc Dietrich, semi- paralysé , privé de parole décèdera le 12 août 1944, à la clinique Lyautey , à Paris , avec à son chevet Gurdjieff et Lanza del Vasto . Ses restes reposent à Recologne depuis 1947.

Marcelle Simon

De l'oubli à la reconnaissance.


« Dietrich ? Connais pas. »


Tel était le titre provocateur d'un article de Ouest-France Nord, paru le 4 avril 1983. Son auteur, Marc Dejean y relatait le destin tragique de Luc Diertich, né à Dijon en 1913, sa brève vie de mauvais garçon sauvé par l'amitié de Lanza del Vasto, sa fulgurante carrière littéraire et artistique .

Et surtout, il déplorait l'oubli des saint-Lois, l'absence d'une plaque, d'une rue honorant celui qui avait partagé leur sort et soigné les victimes du bombardement de la ville en juin 1944.

Oubli reparé le 4 mai 1976, le conseil municipal, sous la présidence du Dr. Jean Patounas ayant décidé de donner le nom de Luc Diertich à la voie comprise entre la rue Dr. Benoit et le chemin du vieux Candol.


Et après ?


C'est en mai 2002, dans la perspective des commémorations du débarquement que l'associaton Lire à Saint-Lô a redécouvert et mis à l'honneur cet écrivain .

Présidé et animé par Jean Duval, le café lecture du 15 mai rassemblait ses lecteurs autour de trois figures emblématiques de l'histoire de Saint-Lô, unies par les hasards de la guerre et leur engagement humanitaire: Luc Dietrich, blessé dans le secteur du Bouloir, Samuel Beckett,, le prestigieux auxiliaire de l'hôpital Irlandais et Lény Escudero, acteur de la reconstruction .

Puis, le 24 mai, une conférence de Frédéric Richaud ,écrivain et petit cousin du disparu, présentait avec brio la vie et l'oeuvre de ce dernier.

Enfin, en 2006, le romancier inconnu, le compagnon des victimes civiles devenu lui-même victime, l'improbable assistant de l'équipe médicale du souterrain accède à la reconnaissance, en entrant dans le tome IV du Dictionnaire des Personnages remarquables de la Manche, où lui est rendu un hommage concis, mais vibrant.

Marcelle Simon


12 commentaires:

  1. Très intéressant. je ne connaissais pas. Mais il y a tant de gens intéressants qui restent inconnus ! Dans le paradis dont je rêve, nous pourrons les découvrir tous et être heureux de les connaître !

    C'est peut-être ça, Dieu : une mosaîque de gens de valeur, une mosaïque que chacun pourra composer à sa façon selon ses attirances et ses goûts.

    Mais je ne crois pas au Paradis. Je regrette seulement de ne pas connaître tout et tous. Merci pour Luc Dietrich.

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  2. Lire cette belle histoire avec le bruit de la mer en fond, c'est génial !
    Un post dont il faut se souvenir, en souvenir de cet homme au destin particulier.
    Spoigner les autres et ne pas pouvoir se soigner soi-même. Triste fin !

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  3. Oui un destin fulgurant empli déjà de plusieurs vie, il a eu la chance et le malheur de vivre à cette époque là. A quoi tiennent la vie, la mort ? A un souffle. Une vie de 31 ans si pleine cela pourrait s'appeller un destin dont le tableau était fini.

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  4. Il était un grand auteur, mais sa vie était très triste! Merci de cet histoire, Miss Yves!

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  5. Merci à tous de vos messages .
    Retour de vacances un peu difficile et panne d'internet expliquent mes réponses aléatoires .

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  6. J'ai lu et apprécié vos commentaires, très émouvants, à la hauteur du destin de Luc Dietrich.

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  7. MERCI pour la découverte!
    Le Bonheur des tristes

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  8. J'essaie de mettre un lien, mais encore une fois cela ne marche pas.
    Donc voici l'adresse où on peut lire le livre:

    http://www.wikilivres.info/wiki/Le_Bonheur_des_tristes/I#I

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  9. Merci, jean-Claude , pour le lien.
    Je l'ai lu, ainsi que l'apprentissage de la ville, aux éditions "le temps qu'il fait"
    J'ignorais qu'il fût en ligne !

    Personnellement, je n'aime pas lire de livres sur écran, cela peut être utile pour les chercheurs, dans le cas de livres rares, mais moi, je préfère la bonne vielle lecture d'antan , de préférence sur un divan !

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  10. Lectrice [robe bleu indigo] sur le divan [terre de Sienne], toile fort connue d'un peintre imaginaire.
    Comme je l'ai écrit ailleurs, quelles autres merveilles nous réservez nous?
    Deux films de la metteur en scène allemande Doris Doerrie: [Je ne connais pas les titres en français] Nobody loves me, Cherry Blossoms.
    J'ai aussi vu un documentaire qu'elle a fait sur le boulanger du Zen Center de San Francisco[Tassajara]

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