samedi, juin 04, 2011

"C'est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis"-Chateaubriand( 4/4)



Devenu pèlerinage littéraire, le château de Combourg 
est longuement  décrit  par Chateaubriand dans Les Mémoires d'Outre-Tombe (I, II, 1-Premier séjour, en 1777 , de courte durée-15 jours; celui de 1783 à 1785-1ère partie, livre III)
Les différents séjours de vacances entrecoupent  les années d'études de Chateaubriand, au collège de Dol puis de Rennes .
"Le château entier avait la figure d'un char à quatre roues"(...)
"Mêlez à cela , dans les diverses parties de l'édifice, des passages et des escaliers secrets, des cachots et des donjons, un labyrinthe de galeries couvertes et découvertes, des souterrains murés dont les ramifications étaient inconnues; partout silence, obscurité et visage de pierre: voilà le château de Combourg"
Avant de parler de la Vie à Combourg, l'écrivain présente une expérience de réminiscence - proustienne, avant l'heure-


Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés.

Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître.

   " Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés.

      Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. "
Montboissier, Juillet 1817- M. O. T.I, III, 1

Suit la description des soirées à Combourg, lugubres, en compagnie  d'un père "à la figure longue et pâle"qui glaçait de terreur Lucile et son frère: "Le reste de la soirée, l'oreille n'était plus frappée que du bruit de ses pas, des soupirs de ma mère et du murmure du vent".(...)
Après son départ," le talisman était brisé; ma mère, ma soeur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie".
Puis vient l'heure du coucher avec son cortège de terreurs :"les gens étaient persuadés qu'un certain comte de Combourg à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques, et qu'on l'avait rencontré dans le grand escalier de la tourelle; sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir" M. O. T. I, III, 3



"Après quinze années d'absence, avant de quitter de nouveau la France et de passer en Terre-Sainte, je courus embrasser à Fougères ce qui me restait de ma famille. Je n'eus pas le courage d'entreprendre le pèlerinage des champs où la plus vive partie de mon existence fut attachée. C'est dans les bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis, que j'ai commencé à sentir la première atteinte de cet ennui que j'ai traîné toute ma vie, de cette tristesse qui a fait mon tourment et ma félicité. Là, j'ai cherché un coeur qui pût entendre le mien ; là, j'ai vu se réunir, puis se disperser ma famille. Mon père y rêva son nom rétabli, la fortune de sa maison renouvelée : autre chimère que le temps et les révolutions ont dissipée. De six enfants que nous étions, nous ne restons plus que trois : mon frère, Julie et Lucile ne sont plus, ma mère est morte de douleur, les cendres de mon père ont été arrachées de son tombeau.
Si mes ouvrages me survivent, si je dois laisser un nom, peut-être un jour, guidé par ces Mémoires , quelque voyageur viendra visiter les lieux que j'ai peints. Il pourra reconnaître le château ; mais il cherchera vainement le grand bois : le berceau de mes songes a disparu comme les songes. Demeuré seul debout sur son rocher l'antique donjon pleure les chênes, vieux compagnons qui l'environnaient et le protégeaient contre la tempête. Isolé comme lui, j'ai vu comme lui tomber autour de moi la famille qui embellissait mes jours et me prêtait son abri : heureusement ma vie n'est pas bâtie sur la terre aussi solidement que les tours où j'ai passé ma jeunesse et l'homme résiste moins aux orages que les monuments élevés par ses mains."
1 L 3 Chapitre 16





Liens:

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1013503.zoom.langES.f36.pagination

www.combourg.net/francais.htm

4 commentaires:

  1. Je suis une grande fan de château. Je viens d'ailleurs de commander un bouquin sur le net avec les plus beaux châteaux des Alpes, je me réjouis de l'avoir entre les mains, de tourner les pages et de faire des projets de visite. Quant à Chateaubriand, j'avoue que je n'ai pas aimé sa lecture quand j'étais jeune. Et pourtant c'était un auteur obligé pour l'examen final de maturité. Monsieur et son spleen m'énervaient. J'avais envie de le secouer pour lui faire voir des choses belles. Depuis-là, je n'ai plus jamais rien lu de lui,jusqu'à aujourd'hui sur votre blog. Bon WE!

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  2. J’avais ecrit un comment hier mais je ne le vois pas, Google a peut-être des problèmes. Donc je n’écris pas trop - simplement - ce château est magnifique.

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  3. Oui tout cela confirme mes vues sur Chateaubriand... à ne pas lire en période de déprime. Cela n'empêche pas le lieu d'être magnifique.

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  4. Jorge Semprun a écrit sa dernière page hier et j'en suis triste....

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