Trécoeur est le nom du château de Madame de Quigny, grand-mère (en réalité grand-tante) de Valérie Dubois. Il joua un rôle important dans son histoire familiale.
En effet, sa mère, Elvire Le Conte de Sainte-Suzanne, orpheline de mère à deux ans , y avait été élevée par sa tante, Sophie de Sainte-Suzanne et y demeura jusqu'au mariage de celle-ci avec M. de Quigny. Valérie, enfant, avait passé des étés pleins d'insouciance et de bonheur en ce lieu où les de Quigny devaient finir leur vie.
Madame de Quigny, royaliste bon teint, n'avait pas admis le mariage de Valérie avec Octave Feuillet."Elle ne pouvait pardonner à (son) futur beau-père d'avoir été le chef du parti libéral dans la Manche, à la Révolution de Juillet 1830; d'avoir fait arrêter le prince de Polignac fuyant vers Granville, d'être resté en relations suivies avec M. Guizot qui songeait à en faire un ministre". Selon madame de Quigny , il fallait"avoir la rage de marier sa fille (...) pour la donner en mariage à ce fils de mangeurs de rois!" Malgré une tentative pour adoucir madame de Quigny, le mariage se fit sans elle, et sans sa bénédiction. "On dut laisser le temps effacer les haines "
Effectivement, "La naissance d'André (1852) nous ouvrit de nouveau la porte de Trécoeur et les bras de ma chère grand-mère, mais hélas! le revoir fut de courte durée , Madame de Quigny succomba aux suite d'une attaque de paralysie, quelques mois après avoir pardonné" (Chapitre XIII, P.162)
De longs mois après le décès de sa grand-mère, Valérie Feuillet y revient en pèlerinage et crut "mourir d'émotion".Puis vient , avec le temps, la mélancolie et l'indifférence.
"J'amenai des amis pour visiter le château que mon mari avait rendu célèbre en le décrivant dans Monsieur de Camors"
On y organisa des parties de campagne: goûters, jeux, pêche dans l'étang , un bal y sera même donné:
"Que de fois depuis je me suis reproché ce bal, le ménétrier et la légèreté de mon coeur"
Chapitre XIII-Quelques Années de Ma Vie.
Chapitre XIII-Quelques Années de Ma Vie.
(Carte postale ancienne du château de Trécoeur)
(Photo de la propriété actuelle, sur le site du château)
Les propriétaires ont très gentiment le petit groupe des amis des musées municipaux ,
pour une causerie historique et littéraire,
suivie d'un délicieux goûter....................................................................................................................................................
Julia de Trécoeur, Octave Feuillet
L'action de ce roman ne se
déroule pas à Trécoeur, (c'est Monsieur de Camors,
qui a "rendu célèbre" ce lieu) mais le nom du personnage éponyme traduit
l'attachement des Feuillet au cadre de la jeunesse de Valérie,
symbole des jours heureux.
En témoigne cette lettre
d'Octave Feuillet à son épouse pendant les répétitions de
Julie, représentée le 4 mai:
Paris,
avril 1869
« Que
je t'envie, ma chère, tes promenades à Trécoeur !
Hélas ,
que je me sens loin de ces douces campagnes !
Chaque
brin d'herbe m'est cher. Dieu, comme je compte m'en régaler cet
été ! Quelle indigestion de verdure, de petits ruisseaux, de
coins solitaires je me promets dans mon cœur ! En attendant ,
n'y pensons pas !
Dans quelques Quelques années de ma vie, Valérie Feuillet raconte la genèse de ce roman:
1871
« Ce
fut vers le milieu de l'automne que je retrouvai ma demeure, bien
attristée par le départ des enfants et par les mélancolies
croissantes de mon mari. Cependant, il s'était remis au travail et
avait repris Julia de Trécoeur, commencée avant la guerre ;
mais il était frappé de l'idée , qu' ébranlé par tant d'émotions
successives, il ne pourrait plus rien écrire de bon, que le succès
était perdu pour lui comme le reste !
Presque
chaque jour, il me faisait la lecture des pages écrites. J'essayais
de le relever par mes compliments. Parfois, je réussissais , alors
il me disait :
« -Tu
es un bon public et je t'aime bien ! »
Julia de Trécoeur parut
enfin (1872) et son succès ressuscita son auteur.
Cette oeuvre, très éloignée
de la fadeur du célèbre Roman d'un jeune homme pauvre,
a des accents aurevilliens. Jugez plutôt:
Raoul de Trécoeur, destiné à
la célébrité par ses dons remarquables, mourut en pleine jeunesse
« sans avoir rien laissé
d'autre qu'une centaine de vers et deux ou trois esquisses »
Il avait épousé à 25 ans sa
cousine Clotilde Andrée de Pers, brisée par ses frasques, mais
toujours fidèle.
Leur fille, Julia, gâtée à
outrance par son père, fantasque, « véritable
petite peste » pour les
amies de sa mère, le pleura avec transports et voua à sa mémoire
un véritable culte.
Clotilde étant veuve à 28 ans,
sa mère, la baronne de Pers, qui avait son franc-parler, lui
enjoignit de se remarier car « c'est
encore ce qu'on a trouvé de mieux jusqu'ici pour jouir honnêtement
de la vie entre gens comme il faut. »
Devant la résistance de sa
fille, elle argumenta : « Tu
as peur de Julia ».
Pourtant, « elle sera riche de
son propre chef », ;
« dans deux ou trois ans, elle
se mariera à son tour (je souhaite bien du plaisir à son mari , par
parenthèse) et puis enfin, un beau-père n'est pas une belle-mère »
Clotilde
lui avoua qu'elle avait bien un penchant, non pour son cousin
Pierre, comme le supposait la baronne, mais pour l'ami de celui-ci,
Monsieur de Lucan, beau ténébreux, qui, d'après elle , ne l'aimait
pas.
L'enquête de la baronne dissipa
un malentendu:si Monsieur de Lucan ne manifestait pas son attirance
pour Clotilde, c'était par délicatesse pour son ami Pierre, qu'il
croyait -à tort- épris de sa cousine.
- de Lucan se déclara donc à la jolie veuve, quand, au milieu de son ravissement, elle entendit « un cri étouffé suivi ded'un bruit de chute » : celle de Julia , évanouie dans le salon voisin. Dans les yeux de l'adolescente de quinze ans, sa mère pouvait lire « une lutte de sentiments contraires. »(...) Tu me fais bien mal, dit-elle, oh bien mal ,plus que tu ne peux croire, mais je t'aime bien...je t'aime bien »
Malgré tout, le mariage eut
lieu, à la condition, imposée par la jeune fille de ne pas y
assister et de se retirer auparavant dans un couvent du Boulevard St
Germain.
Or, la retraite de Julia se
prolonge car « l'ancienne
diablesse veut se faire religieuse »,
ce qui ravive le chagrin de sa mère et l'ironie de sa grand-mère
.Coup de théâtre ! Le bon cousin Pierre, amoureux fou du
« joli monstre » souhaite l'épouser !
La veille de la prise de voile
de sa fille, Clotide joue timidement les intermédiaires.
« Pourquoi
pas ? répondit
Julia d'un ton de voix sérieux , autant lui qu'un autre »
Le mariage eut lieu dans
l'intimité trois mois plus tard, Julia tint à ce que son beau-père
en fût absent , puis le couple partit pour l'Italie.
Clotilde rejoignit alors son
époux dans une ancienne résidence familiale, Vastville, « dont
la vue , au au-delà d'un massif boisé s'étend sur les vastes
landes qui forment le plateau triangulaire de la Hague ».
Conquise d'avance par
l'enthousiasme de son mari, Clotilde éprouva pourtant , la nuit de
son arrivée, « une
impression de froid dans la sombre
avenue en pente qui conduisait au château » .
Puis elle s'accoutuma à cette
atmosphère romantique, contrairement à la baronne qui voyait en
cette demeure « une vraie maison à
crimes », semblable au
« Château d'Udolphe ».
Au bout d'un an de voyage en
Italie et en Suisse, et de lettres fantasques à sa mère, Julia
annonça abruptement son retour , en précisant dans un
post-scriptum : «Je
prie Monsieur de Lucan de ne pas m'intimider »
C'est au x premiers jours de
juin qu'eurent lieu les retrouvailles : une rencontre amicale
bien que M . de Lucan sentît sa bru, devenue très belle, se
crisper au moment du baiser de réconciliation.
D'emblée, l'atmosphère
romantique du domaine plut à Julia et les journées s écoulèrent
dans la bonne entente avec son beau-père ; toutefois, « quand
elle ne pouvait échapper à quelques moments de tête à tête ,
elle laissait voir tantôt un malaise irrité, tantôt une
impertinence railleuse. »
Un soir de retour de bal où le
tête à tête fut inévitable, Julia déclara à son
beau-père : « Vous
êtes un très mauvais mari pour ma mère. Ma mère est une créature
angélique, et vous, un romantique, un tourmenté. Un jour ou
l'autre, vous la trahirez. »
Le lendemain, Pierre confie à
son ami son malheur : sa femme est pour lui une énigme. «Je
l'adore et je suis jaloux. De qui ?
De Quoi ? »et il
ajoute : «Si elle donnait
à un autre tout ce qu'elle me refuse ! Je la tuerais »
Lucan rassure son ami : les
bizarreries de la jeune femme viennent tout simplement de son
imagination exaltée.
Celle-ci, un peu plus tard, ne
lui confie -t-elle pas s'être imaginé, depuis le voyage en Italie,
que sa grande beauté serait l'enjeu de rivalités amoureuses allant
jusqu'au crime ?
Par la suite, au grand désespoir
de Clotilde, Julia multiplie les incartades vis -à -vis de son
beau-père . Comment interpréter ses pâleurs ses larmes, ses
faiblesses qui vont jusqu'à l'évanouissement , ses paroles
ambiguës, agressives ou provocantes, sa danse de bacchante, un beau
soir?
M.de Lucan n'ose pas donner un
nom à tous ces symptômes.. « Soyez
honnête homme » glisse
la baronne de Pers à celui qui , au début de l'histoire , s'était
dépeint à Pierre comme « un
être né avec de détestables instincts »
et, sans le secours de sa volonté,
« un scélérat en
puissance, comme Trécoeur »
Tous les éléments du drame
sont en place.
Au cours d'une balade sur les
hauteurs de la Hague, Julia entraîne son beau-père au bord de
l'abîme.
« Je suis si
heureuse », murmure-t-elle, « je
voudrais mourir là...(...) Avec vous(...) Quelle joie... »
Troublé, Lucan résiste
pourtant à son étreinte et l'entend murmurer « d'un
accent doux et fier »
en s'éloignant: « sans vous, alors »
Quand, au petit matin, Lucan
aperçut Julia traverser la cour de Vastville, habillée comme pour
monter à cheval, il prévint le comte de Moras, curieusement déjà
prêt. Pierre attacha sur son ami « un regard pénétrant et
visiblement troublé »
Tous deux se dirigèrent du haut
des falaises : quel spectacle saisissant ! « Julia
cravachait les flancs de son cheval pour hâter encore son allure
vers le gouffre. »
Au moment où Lucan allait se
précipiter vers la cavalière, il sentit la main la main de M. de
Moras le retenir et lut dans ses yeux une « résolution
inexorable ».
(...)« Comprenant qu'il n'y
avait plus de secret entre eux, il obéit à ce regard »
« Le
cheval, fumant, cabré, se levait presque droit et se dessinait de
toute sa hauteur sur le ciel gris du matin
Enfin
le cheval fut vaincu, ses deux pieds de derrière quittèrent le sol
et rencontrèrent l'espace. Il se renversa, ses jambes de devant
battirent l'air convulsivement.
L'instant
d'après , la falaise était vide. Aucun bruit ne s'était fait,.
Dans
ce profond abîme, la chute et la mort avaient été silencieuses »
En 1873 , après la chute de
l'Empire, Valérie Feuillet rendit visite à l'ex Impératrice Eugénie
(devenue veuve) retirée en Suisse, à Arenenberg .
« Elle me parla avec
bonté des travaux littéraires de mon mari, de Julia de Trécoeur,
qu'elle trouvait une de ses plus belles oeuvres mais qu'elle
appelait cependant un « mauvais livre »
- « On
dirait, ajoutait-elle en souriant que Feuillet a voulu goûter des
choses immorales.
Je suis sûr qu'il est fier
d'avoir été mauvais sujet une fois dans sa vie »
Si le moralisme étroit de ce
commentaire fait sourire de nos jours, le fond n'en est pas moins
pertinent:dans Julia de Trécoeur se dessine le
goût du Romantisme noir, le sens du secret qui parcourt Les
Diaboliques de Barbey d'Aurevilly et une obscure
fascination pour le mal.
M.S.
M.S.
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Pour lire M. de Camors et Julia de Trécoeur:
http://beq.ebooksgratuits.com/vents-xpdf/Feuillet-Camors.pdf
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Et pour écouter, ce lien ici et là
Coucou Miss Yves.
RépondreSupprimerTu nous oblige à nous instruire...
Très bon weekend. A + :))
C'est comme chez moi, il y a de la lecture ce matin.
RépondreSupprimerLE château transformé est du plus bel effet, et la Campagne de Valérie est bien belle.
Je repasse ce tantôt, plus le temps maintenant.
indigestion de verdure.. jamais!
RépondreSupprimerLa maison actuelle me plairait presque plus que le château d'autrefois.
RépondreSupprimerJe vais revenir ce soir pour lire tranquillement :-)
RépondreSupprimerTu m donnes vraiment envie de lire. J'ai parcouru Mr de Camors, je crois que ça va me plaire.
RépondreSupprimerLe hic est qu'il faudrait que j'ai le temps. Peut-être une nuit d'insomnie. C'est super de pouvoir lire sur ordi.
C'est vrai que la maison est plus belle que le château, mais bonjour les carreaux à faire !
Au fait je t'ai répondu sur mon blog.
RépondreSupprimerJ'ai entendu tout l l'heure à la radio que plus cela allait plus il y avaient de gens qui avait envie d'éacrire, j'ai du attraper la maladie.
Je t'ai encore répondu sur mon blog, mais tu as raison l'écran d'un ordi ne vaut un bouquin.
RépondreSupprimerBons week-end !
Pour tout à l'heure sur le canapé après la tonte de l'herbe.
RépondreSupprimerRomantisme a souhait!
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