Le voyage initiatique de Luc Dietrich
La mort blanche
« Poursuivi par une horde de monstres, je fuis sur un sol sec, cherchant un trou pour me terrer . Je le trouve : c'est un puits béant au ras du sol. (
) je vois au- dessus de moi une voûte blanche plus haute que le ciel(
)
Moi je monte , et la voûte monte et je suis mort et j'attends quelque chose. »
L'Injuste grandeur ou le livre des rêves
Ces lignes furent écrites en 1933, à Florence, par le poète Luc Dietrich relatant ses rêves et anticipant son propre devenir, à Saint- Lô bombardée, le 10 juin 1944.
Quels hasards régissent cet étrange parcours ? Quelle figure se cache sous ce nom, devenu celui d'une rue saint- loise- après délibération du conseil municipal du 4 mai 1976 ?
En 1932, Luc Dietrich , âgé de 19 ans, vient d'être sauvé de la drogue et de la délinquance grâce à l'amitié providentielle de Lanza del Vasto- futur disciple de Gandhi- Sous l'influence du « Grand Ami », il va construire sa personnalité et une oeuvre de poète , de photographe, de romancier :Le livre des rêves (1934), le Bonheur des Tristes, goncourable en 1935 , L'Apprentissage de la ville (1942).
Mais la célébrité ne peut suffire à combler sa soif de spiritualité, d'autant plus qu'à partir de 1937 se desserrent les liens noués avec Lanza lui-même en quête de sa propre voie.
Aussi , de 1939 à 1942 de nouvelles rencontres seront-elles décisives : elles se focalisent autour du « mage » Gurdjieff qui sera le guide de Luc, devenu l'ami du poète René Daumal, dans un « groupe de travail » gurdjieffien .
Depuis février 1944, Dietrich voyage ou séjourne à Saint-Lô , chez le docteur Benoît, afin de préparer un livre sur les malades mentaux .Il se rend à Paris le 21 mai pour assister Daumal mourant puis revient en Normandie où il partagera le quotidien des Saint -Lois sous les bombes.
Du lundi 5 juin au vendredi 9 juin, il fait des photos, note le compte- rendu des événements sur deux petites pages d'agenda au crayon gris, dans un style haché, révélateur du chaos.
Le mardi 6 juin en compagnie du docteur Benoît, il se rend au souterrain aménagé en salle d'opération ,s'improvise assistant (« Serai son aide . Passe donner mercurochrome. », si bien que dans la mémoire collective relayée par les érudits locaux, Luc Dietrich passera pour médecin .
Le samedi 10 juin dans le secteur du Bouloir, il est blessé, transporté à l'hôpital de campagne de saint- Lô , dicte à une infirmière son témoignage :le docteur Rougeau choqué à la tête, le docteur Benoît enseveli sous les décombres d'une cheminée( alors qu'il cherchait des médicaments), et sa propre blessure : « Ils avancent sur nous . Et juste au-dessus, ils lâchent leurs bombes .J'ai compté sept secondes puis la nuit . Je me sens aspiré par la tête et entraîné comme dans un mouvement spiraloïde en l'air . Je retombe comme une feuille morte, avec une vitesse de chute inférieure à la normale. Juste au moment où je touche le sol, je suis battu par les pierres (
) Puis trois pierres me tombent dessus .L'une sur le ventre ,plate et un peu ronde , une sur le pied droit, une sur le pied gauche mais je ne sens aucune douleur de ces choses. Je me dis : « C'est drôle, quand on est mort, on vit encore , L'obscurité se dissipe. »
La blessure , apparemment anodine provoquera une septicémie dont Luc Dietrich, semi- paralysé , privé de parole décèdera le 12 août 1944, à la clinique Lyautey , à Paris , avec à son chevet Gurdjieff et Lanza del Vasto . Ses restes reposent à Recologne depuis 1947.
Marcelle Simon
Sources :Luc Dietrich, le cahier douze ,Frédéric Richaud , Le temps qu' il fait
Le parcours d’une vie, le destin, la rencontre
RépondreSupprimerL’année dernière nous avons fait la connaissance d’un homme échappé de la délinquance grâce à une rencontre aussi, et il s’est ensuite, après la peinture à bord d’une roulotte, consacré à créer un jardin merveilleux.
Alors là, un jardin de ses mains, en étant toute ma journée dedans et seul avec sa compagne. Des vies de roman.
Quant à la disparition de Luc Dietrich en pleine jeunesse après avoir eu le temps de laisser une œuvre, elle me fait penser aux sœurs Brontë, à Jane Austen, à Alain Fournier, à Raymond Radiguet.
Je pense quel dommage cette perte, et en même temps, tant mieux, ce gain...
A l’époque, on ne se remettait ni de la phtisie, ni de la septicémie, sans parler des guerres et de nos jours le sida ou le suicide.
(Destins subis ou choisis)
Etonnant parcours...C'est beau, cette renaissance par l'art, quelle qu'en soit la forme .
RépondreSupprimerLuc Dietrich a vécu, lui,en marginal, dans un wagon abandonné...
Il faut lire "le Bonheur des Tristes et "l'apprentissage de la Ville " En 2002, une adaptation télévisée a été faite, mais très décevante.
Les vies trop courtes,fulgurantes mais intenses nous émeuvent et nous fascinent en même temps
(Barbara:"...qu'on ne me voie jamais faner sous me dentelle")
Miss Yves