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- Tête d'affiche, comme l'an dernier, à Sarlat pour La traversée de Paris ( accueilli diversement) Francis Huster a joué et mis en scène le Don Juan de Molière,sur la place de la Liberté,avec Francis Perrin dans le rôle de Sganarelle.
"La scène est en Sicile"indique le texte de Molière.
Est-ce ce détail qui a conduit Francis Huster à faire de Dom Juan une sorte de gangster, protégé par ses gardes du corps revolver en mains, menacé par les frères d'Elvire qui , aux codes de l'honneur aristocratique du XVII ème sièclel ont substitué les lois de la mafia ?
"Un grand seigneur méchant homme est une terrible chose", déclare Sganarelle.
Ici, Dom Juan se montre d'une noirceur qui n'autorise aucune sympathie, plus voyou que grand seigneur, lorsqu'il impose ses baisers sur la bouche à Monsieur Dimanche et à son propre père, Dom louis !(Prodigieux Simon Eine). C'est comme si Francis Huster voulait dégoûter le spectateur de toute velléité de libertinage.
Certes ce parti-pris de ne pas "rendre le vice aimable" se défend, mais on peut préférer une vision plus ambivalente , plus nuancée du personnage-titre; on peut regretter aussi qu' une certaine violence dans le ton n'ait pas assez valorisé les enjeux de la tirade de l'hypocrisie.
En revanche, les nuances caractérisent le jeu de Francis Perrin, qui campe un Sganarelle d'une grande humanité.
Belle trouvaille, que cette manière de faire participer le public , à la scène 2 de l'acte V à son raisonnement":
**Sachez, Monsieur, que tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle se brise ; et comme dit fort bien cet auteur que je ne connais pas, l'homme est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche ; la branche est attachée à l'arbre ; qui s'attache à l'arbre suit de bons préceptes ; les bons préceptes valent mieux que les belles paroles ; les belles paroles se trouvent à la cour ; à la cour sont les courtisans , l'âme est ce qui nous donne la vie ; la vie finit par la mort ; la mort nous fait penser au Ciel ; le Ciel est
au-dessus de la terre ; la terre n'est point la mer ; la mer est sujette aux orages " etc
Une idée personnelle, a-t-il précisé le lendemain, qui ne relève pas du simple gag, mais qui manifeste le besoin de Sganarelle de se voir soutenu, conforté dans sa "logique" .
Pièce plus baroque que classique, avec ses lieux variés et ses ruptures de ton, cette comédie fait se succéder différentes "scènes", très attendues, et dont le spectateur se demande comment elles seront jouées, dans cette mise en scène qui se veut un hommage à Louis Jouvet :
-La première intervention d'Elvire est illustrée par une invention scénique judicieuse: cynique et goujat, Dom Juan donne à lire à Sganarelle sa fin de non -recevoir l' amante abandonnée qui .
rampait et s'offrait sur la longue table du décor . A l'acte IV,Elvire sera entièrement nue .
-Les scènes des paysannes sont joliment traitées, particulièrement celle avec Charlotte : amusants, les vestons sur cintres du maître et du valet devenus capes de matador virevoltant autour des naïves jeunes filles . La robe de Charlotte , légère comme un plumage d'oiseau insiste plus sur la séduction que sur la dimension sociale de l'épisode .
(Vidéo là )
-La scène du pauvre présente un jeune aveugle encapuchonné -de notre époque,(qui, au moment des saluts sera un talentueux danseur de hip hop .). Cette innovation ( la cécité ) donne de la force au passage:avec la lumière intérieure de la foi, le pauvre est le premier à imposer une défaite au grand seigneur,à la merci des revolvers des frères d'Elvire dans la scène suivante
-La scène où la statue du Commandeur convoque dom Juan à dîner remporte la palme de la modernisation: Dom Juan reçoit de lui...un texto !
-Au dénouement, à la place de la statue du commandeur, La mort s'avance , venue du haut de la rue Fénelon et tend la main vers le libertin avec des allures de sirène, mélange pertinent d' Eros et de Thanatos ..
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-Le lendemain à Plamon, ce fut un bonheur et un honneur de retrouver la troupe et, bien sûr , Francis Huster qui a développé et justifié ses choix de mise en scène devant le public, venu nombreux l'écouter et ...le photographier.
Des questions ont fusé:
-Pourquoi des costumes modernes ?
-En quoi votre mise en scène est-elle un hommage à Louis Jouvet ?
-Pourquoi Elvire sur la table ? Pourquoi sa nudité ?
-Pourquoi ne voit-on pas la statue du Commandeur ?
Le metteur en scène y a répondu avec fougue, et c'était une sorte de deuxième spectacle, après celui de la veille:
S'appuyant sur l'histoire du théâtre , Francis Huster a soutenu que les classiques nous parlaient actuellement et qu'il fallait les jouer en costumes modernes, tout comme les tragédiens au XVIIème siècle incarnaient les Romains en costumes de leur époque- ce n'est qu'au XIX ème siècle, avec l'innovation révolutionnaire de Talma que l'on a joué les personnages de l'Antiquité en toge ...et que l'habitude en est restée, devenant la norme.
Pour la deuxième question, rappelons le projet initial de F. Huster voulant jouer la pièce" comme Jouvet en 2011 l'aurait peut-être rêvée" (CF. le programme de festival):
La Troupe de France rend hommage à Louis Jouvet, à l’occasion du 60ème anniversaire de sa mort. Ce « Dom Juan » 2011 commence donc en 1951 en Avignon, en pleine répétition du festival. Les comédiens, en costume de ville, apprennent par la radio, qui interrompt son direct du Tour de France, que Louis Jouvet est mort. Bouleversés, Jean Vilar et les siens décident de monter son Dom Juan. C’est une jeune troupe qui va relever le défi de jouer la pièce, mais l’acteur qui interprète le rôle-titre endosse, à la fin, le véritable costume porté par Jouvet lui-même, ce sublime costume du 4ème acte, blanc à collerette, un véritable défi à la Mort. Car, à Jean Vilar qui lui proposait, au cours d’une répétition au Théâtre Antoine d’une œuvre de Sartre, de venir jouer un jour, au Festival d’Avignon, le Dom Juan de Molière, Jouvet, déjà très fatigué, mais pince-sans-rire, répliqua, livide : « Oui, je viendrai, quand je serai mort ». Et il est mort d’un infarctus quelques semaines plus tard, en août, dans son bureau du théâtre de l’Athénée.
Pour répondre, F. Huster a fait un parallèle entre la conception du foot, qui a évolué depuis les années 50, 60 , et celle du théâtre :l'un et l'autre met ses joueurs sur le même plan, sans favoriser les premiers rôles au détriment des rôles secondaires .
"Si Elvire est sur la table, c'est que le sous -titre de Don Juan est Le festin de pierre et qu'elle va être bouffée (sic). Elle est nue, à l'acte IV, comme les premières chrétiennes, seule face à Dom Juan, sa famille, ses frères ne comptent plus
"Quant à la statue du Commandeur, il ne faut pas la monter: le spectateur n'est pas naïf".
Malgré certaines réserves, j'ai trouvé cette programmation et cette rencontre intéressantes .
"Le théâtre, c'est un domaine où les êtres et les choses touchent enfin à la liberté" Louis Jouvet
(Photos personnelles )
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*DON JUAN, à Sganarelle
Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.
Extrait de la scène 2 de l'acte V de Dom Juan - MolièreSganarelle :
**O Ciel ! qu'entends-je ici ? Il ne vous manquait plus que d'être hypocrite
pour vous achever de tout point, et voilà le comble des abominations. Monsieur, cette
dernière-ci m'emporte et je ne puis m'empêcher de parler. Faites-moi tout ce qu'il vous plaira,
battez-moi, assommez-moi de coups, tuez-moi, si vous voulez : il faut que je décharge mon
coeur, et qu'en valet fidèle je vous dise ce que je dois. Sachez, Monsieur, que tant va la cruche
à l'eau qu'enfin elle se brise ; et comme dit fort bien cet auteur que je ne connais pas, l'homme
est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche ; la branche est attachée à l'arbre ; qui
s'attache à l'arbre suit de bons préceptes ; les bons préceptes valent mieux que les belles
paroles ; les belles paroles se trouvent à la cour ; à la cour sont les courtisans ; les courtisans
suivent la mode ; la mode vient de la fantaisie ; la fantaisie est une faculté de l'âme ; l'âme est
ce qui nous donne la vie ; la vie finit par la mort ; la mort nous fait penser au Ciel ; le Ciel est
au-dessus de la terre ; la terre n'est point la mer ; la mer est sujette aux orages ; les orages
tourmentent les vaisseaux ; les vaisseaux ont besoin d'un bon pilote ; un bon pilote a de la
prudence ; la prudence n'est point dans les jeunes gens ; les jeunes gens doivent obéissance
aux vieux ; les vieux aiment les richesses ; les richesses font les riches ; les riches ne sont pas
pauvres ; les pauvres ont de la nécessité ; nécessité n'a point de loi ; qui n'a point de loi vit en
bête brute ; et par conséquent, vous serez damné à tous les diables.
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