"Niobé, cette rêverie qu'on croirait traduite d'un poème anglais ..."écrit Barbey en 1846 dans une lettre à Trébutien à propos du poème qu'il a composé en 1844. Puis, bien plus tard:"(...)Voilà la meilleure explication à donner peut-être de cette Strange thing qu'un académicien ne saurait classer .Cela fut écrit en sortant d'une soirée où une femme vraie avait porté ce camée de Niobé qui me rappela la Niobé de chez mon père, ce buste que j'avais tant regardé en suçant mon pouce jusqu'au sang (...) P.1016 La Pléiade ,Notes J. Petit
Le Rideau cramoisi, Les Diaboliques (1874)
Barbey a beau écrire, dans sa préface :
"Quand aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les Diaboliques ? N'ont-elles pas assez de diabolisme en leur personne pour mériter ce doux nom ? Diabolique! Il n'y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré."Alberte, l'héroïne du Rideau cramoisi ne mérite que médiocrement ce qualificatif. Certes, son impassibilité de sphinx contrastant avec son aplomb, sa manière de souffler le froid et le chaud et son passage de la petite mort au Trépas en font un personnage sidérant , mais de là à écrire , à propos de cette histoire en particulier , "que ce soit le diable qui ait dicté" !...C'est plutôt le sentiment de la Faute qui donne à cette nouvelle son caractère diabolique , sentiment développé sur le mode fantasmatique par le narrateur , le vicomte de Brassard : "Et jusque par- dessus son épaule, je regardais derrière elle si cette porte , dont elle n'avait pas ôté la clef , par peur du bruit qu'elle pouvait faire, n'allait pas s'ouvrir de nouveau et me montrer, pâles et indignés, ces deux têtes ce Méduse, ces deux vieillards que nous trompions avec une lâcheté si hardie , surgir tout à coup dans la nuit , images de l'hospitalité violée et de la Justice!"
Quand on sait, grâce aux notes de Jacques Petit dans l'édition de la Pléiade , que la description de la chambre où Alberte rejoint la nuit son jeune amant après avoir traversé celle de ses parents endormis, correspond à une des chambres de la maison parents de l'auteur , le récit acquiert une dimension psychanalytique fort troublante...
"C'était une chambre de ce temps -là, - une chambre de l'Empire, parquetée en point de Hongrie, sans tapis, où le bronze plaquait partout le merisier , d'abord en tête de sphinx aux quatre coins du lit, et en pattes de lion sous ses quatre pieds (...)
A tous les angles de cette chambre d'une grande élévation et d'un large espace, il y avait des encoignures en faux laque de chine, et sur l'une d'elles on voyait, mystérieux et blanc, dans le noir du coin , un vieux buste de Niobé d'après l'antique , qui étonnait là, chez ces bourgeois vul
gaires "
Le motif -obsessionnel -de la Niobé antique a été traité par Barbey dans un poème éponyme (1844) et , dans la même tonalité de blanc et de noir dans une scène de ce qui ne meurt pas .Le rideau cramoisi, où semble se profiler , dans le dénouement, l'ombre d'Aimée de Spens condense interdit, désir incestueux aux couleurs de la honte et du sang .Anouk Aimée, qui interpréta Alberte dans le film d'Alexandre Astruc, le rideau cramoisi (1952) fera des lectures publiques, à Saint-Sauveur -Le -Vicomte, pour la commémoration du bicentenaire de la naissance de Barbey d'Aurevilly .
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