mercredi, octobre 31, 2007
Proust lecteur de Barbey
Dans La Prisonnière (Tome VI de La Recherche) , le narrateur donne à Albertine, une leçon de littérature aussi intéressante qu' improbable, étant donné sa destinataire .
Il montre que "les phrases-types" , celles de la sonate de Vinteuil, ont leur équivalent" dans les autres oeuvres, si vous voulez, chez Barbey, une réalité cachée, révélée par une trace matérielle, la rougeur physiologique de l'Ensorcelée, d'Aimée de Spens, de La Clotte, , la main du Rideau cramoisi, les vieux usages , les vieilles coutumes , les vieux mots, les métiers anciens et singuliers derrière lesquels il y a le Passé, l'histoire orale faite par les pâtres du terroir, les nobles cités normandes parfumées d'Angleterre et jolies comme un village d'Ecosse, la cause de malédictions contre lesquels on ne peut rien, la Vellini, le Berger, une même sensation d'anxiété dans un passage , que ce soit la femme cherchant son mari dans une Vieille maîtresse, ou le mari, dans l'Ensorcelée, parcourant la lande , et l'ensorcelée elle-même au sortir de la messe."
Cette analyse thématique révèle chez Proust une lecture attentive de l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly et structure ce passage de la Prisonnière voire l'ensemble du volume en jouant sur le motif de la dissimulation .
Tout d'abord, parce que cette réflexion sur les phrases -types de Vinteuil ramène le narrateur à l'amour de Swann et d'Odette , et par association d'idées à Gilberte , donc aux relations cachées d'Albertine avec des femmes - dont il veut lui arracher l'aveu .
Il n'est pas indifférent que la jeune femme que le narrateur dissimule dans sa chambre porte le même prénom que l'héroïne du Rideau cramoisi...du moins sous sa forme originelle puisque qu'il est écrit, dans la nouvelle de Barbey "Melle Albertine (c'était le nom de cette archiduchesse d'attitude, tombée du ciel chez ces bourgeois comme si le ciel avait voulu se moquer d'eux) mademoiselle Albertine que ses parents appelaient Alberte pour s'épargner la longueur du nom, mais ce qui allait parfaitement mieux à sa figure et à toute sa personne..."Certes, la consonance virile de ce prénom s'accorde avec "ses cheveux coupés à la Titus ", avec la hardiesse de sa main un peu épaisse", et surtout avec sa manière de prendre des initiatives galantes , plus digne d'un homme que d'une jeune fille sortie du couvent !
En revanche, chez Proust , les connotations féminines du prénom d'Albertine correspondent aux jeux de masques sur l'homosexualité du personnage ...et de l'auteur .
La Prisonnière reprend , sans les citer, des expressions du Rideau cramoisi : l'air de "princesse" d'Alberte devient, dans la bouche de Françoise l'injonction ironique aux autres domestiques "de ne pas éveiller la Princesse", la référence à "l'infante à l'épagneul de Velasquez"donne lieu à une perception , par Marcel , de la chevelure d'Albertine réduite à "une coque de cheveux noirs en forme de coeur , appliquée le long de l'oreille comme le noeud d'une infante de Vélasquez "
Le motif de la catalepsie, de la mort d'Alberte est réécrit et réinterprété de manière fantasmatique : le narrateur s'embarque sur le sommeil d'Albertine , lui arrachant ainsi par ruse un baiser -équivalent du baiser maternel à Combray-,accepte un rendez-vous nocturne où, elle sera, dit-elle "comme morte ", et finit par voir dans cette "docile et ennuyeuse captive "une pesante esclave "dont il aurait voulu se débarrasser ...
Relisons Barbey:
"J'eus la force de prendre le cadavre d'Alberte et, le soulevant par les bras, de le charger sur mes épaules . Horrible chape , plus lourde, allez ! que celle des damnés dans l'enfer de Dante !"
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Ravie de ta visite. Ravie aussi de voir que chacun a ses obsessions, du genre... Barbey !
RépondreSupprimerPour moi, l'obsession se nomme Carmen, mais elle est inconnue de ce côté là des Pyrénées ! A bientôt.