jeudi, mars 06, 2014

Rencontres cosmopolites:Katharina Hagena (2/5)

Rencontres cosmopolites à la médiathèque de saint-Lô: Familles dans la tourmente de l'Histoire.


1- Le goût des pépins de pommes, Katharina Hagena



« Les histoires que l’on me racontait étaient-elles plus vraies que celles que je fabriquais moi-même à partir de souvenirs épars, de suppositions et de choses apprises en écoutant aux portes ? Les histoires inventées devenaient parfois vraies au fur et à mesure, et nombre d’histoires inventaient la vérité. 
La vérité est proche parente de l’oubli, je savais cela de source sûre ……. Dans le mot grec qui signifie vérité, aletheia, coulait en secret le Léthé, fleuve des Enfers. Quiconque buvait de l’eau de ce fleuve renonçait à ses souvenirs …. »

Une référence directe à l’auteur anglais auquel s’est consacré Katharina Hagena  pendant ses études à Freiburg, puis à Dublin : James Joyce, en particulier à son roman « Ulysse », sujet de sa thèse.
Son livre « Le goût des pépins de pomme «  raconte cette quête de la vérité, cette chasse aux souvenirs et le rôle de l’oubli.
Comme le héros de Joyce dans Ulysse  Leopold Bloom, Iris va errer dans la maison de ses grands-parents dont elle a hérité et essayer de reconstituer le passé familial. Un roman plein de couleurs, d’ odeurs venues des plates-bandes du jardin, des bruits de la maison…. .


Facile à lire ?

Oui, on la suit allègrement à travers les pièces de la maison, retrouvant à la manière de Proust ses souvenirs. Chaque objet lui parle. Mais à travers d’anodines descriptions, l’Histoire est à l’affût.
Sans avoir l’air d’y toucher, sans que jamais rien ne soit même vraiment dit, le passé de l’Allemagne resurgit, l’Allemagne nazie avec la figure du grand-père, l’Allemagne divisée évoquée par le blason de la famille : un cœur coupé en deux par une scie, l’Allemagne qui oublie son passé, comme la grand-mère Bertha, après une chute d’un pommier.

« Après que Bertha fut elle-même tombée du pommier et qu’à la suite de cet accident, les souvenirs commencèrent à se détacher d’elle, à tomber autour d’elle les uns après les autres, elle accepta la désagrégation sans combattre, tristement. Depuis toujours, dans notre famille comme ailleurs, le destin se manifeste en premier lieu sous la forme d’une chute. Et d’une pomme. «(  p 73)

Et des chutes, il y en aura beaucoup d’autres dans ce roman, des chutes burlesques comme celle d’Iris à vélo ou d’un trognon de pomme, des chutes dramatiques et inexpliquées comme celle de Rosemarie ou de Bertha dont la mémoire s’effrite :
« Le cerveau s’ensablait comme le lit instable d’une rivière. Cela commençait par s’effriter sur les bords, puis les berges croulaient dans l’eau par pans entiers. La rivière perdait sa forme et son courant, sa raison d’être. Pour finir, cela s’arrêtait de couler, ne faisant plus que clapoter misérablement dans tous les sens. Il se formait dans le cerveau des dépôts blancs qui bloquaient les impulsions électriques, les terminaisons étaient totalement isolées, et à terme échu, la personne également….. » (p 84)

Nous revoilà au bord du Lethé !

Toutes les bocaux de compote et de gelée de groseille entassées dans la maison n’y pourront rien. Iris en vient à cette conclusion :
« J’en déduis que l’oubli n’est pas seulement une forme du souvenir, mais que le souvenir est aussi une forme de l’oubli »

Si Iris, la petite bibliothécaire de Freiburg renonce elle aussi aux mots qui ont perdu le pouvoir de dire les choses, pour Katharina Hagena, c’est le contraire :
 »Mon roman n’est pas autobiographique, sinon, je ne l’aurais pas publié, car c’est artificiel, chaque mot est à sa place. J’ai réussi à dépersonnaliser ma mémoire et à faire en sorte que ce roman ait son existence propre… »


2-
Son deuxième  roman L’Envol du héron est aussi une quête du Sommeil et de la Disparition comme l’indique son titre allemand « Vom Schlafen und Verschwinden » : à Hambourg, en 2012, Katharina Hagena a en effet tenu une conférence sur « La poésie de l’insomnie et la nécessité du rêve –le sommeil dans la littérature » lors d’un congrès sur le sommeil. 
Et ce sont les Pensées de Pascal en exergue qui essaient d’éclairer cette histoire.

« Qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n’est pas un autre sommeil un peu différent du premier, dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir ? Et qui doute que si on rêvait en compagnie et que par hasard les songes s’accordassent, ce qui est assez ordinaire, on ne crût les choses renversées ?….. »

L’un de deux personnages principaux est une universitaire, Ellen Feld, une somnologue qui souffre elle aussi d’insomnies :

« La fatigue recèle l’ardent désir du sommeil…….maison de mes parents » p 34

Au fil des heures qui s’égrainent, l’histoire de sa famille surgit sous nos yeux. Ellen nous confie ses réflexions sur le sommeil, ses amours, ses angoisses, ses souffrances. Pourquoi son amant est-il parti sans rien dire, alors qu’elle était enceinte de sa fille Orla à la belle voix de contralto ?
Le père d’Ellen, Joachim, sa fille et ses amis, Andreas et Benno sont réunis dans une chorale,liés par une même douleur, celle de la disparition, de la perte d’un être cher.
Au récit d’Ellen s’intercalent les pages d’un journal, le cahier vert, tenu par Marthe qui n’a jamais renoncé à retrouver son fils disparu il y a 17 ans et arpente la forêt de Gründ :

« Pourquoi réclamé-je soudain vengeance après toutes ces années ? Némésis ..…. » p 112- 113

Telle un héron cendré, prêt à fondre sur sa proie. 
Le roman est un vaste jeu de cache-cache entre les personnages, dans un dédale de prairies et de bois, habité par toute une faune d’animaux et d’oiseaux, retentissant de chants de cygnes, de geai, de grenouilles-taureaux et en arrière-plan, le grondement du Rhin.
A nous lecteurs de prendre la piste et de réunir les morceaux du puzzle pour découvrir leur douloureux secret.
Les mythes sont de nouveau convoqués : même la disparition finale n’est-elle pas une ultime métamorphose ?

« Nyx je suis. Bientôt je prendrai mon envol. Le héron ne passe que la nuit. »


Texte  de Pascale Heurtevent
Photos 2 et 3: D. Briand
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16 commentaires:

  1. Coucou Miss Yves.
    Tout comme un roman la salle au préalable vide petit à petit se comble de lectrices...
    Bonne lecture, excellente journée.
    A + :o)

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    1. Merci!A toi aussi.
      Très jolie formule, à laquelle on pourrait ajouter:

      "et comble lecteurs et lectrices!"

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  2. ...et pas un seul homme...:)))

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  3. Le Vol du Héron, je ne sais pas mais "Le goût des pépins de pommes" ça me dirait bien.
    Je me trompe où c'est toi avec une écharpe. Je suppose bien en disant que l'auteur est la dame blonde qui a l'air toute à son affaire.

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    1. La dame blonde n'est point l'auteur des romans, mais de l'analyse notée intégralement.
      L'auteur sera invitée en avril, avec les autres romanciers cosmopolites.
      Pour le reste, tu as raison, et je te recommande vivement" le goût des pépins de pommes"

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  4. j'ai eu le livre "le goût des pépins de pommes" entre les mains, hésitant à le prendre, je crois que je vais l'acheter ça fera monter la pile des livres en réserve!
    un message encore très chouette, je crois que Claude a bien deviné qui est qui....

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    1. Le goût des pépins de pommes , en dépit des sombres secrets qui se découvrent, a une tonalité plus allègre que le vol du héron.

      No comment!

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  5. Très belles photos, Miss ! Je reviens demain. Bisous de bonne nuit !

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  6. Tout d'abord te dire Miss que par maladresse en voulant supprimer le reliquat de ton commentaire et du mien j'ai supprimé ton poème :o((. Mais je l'ai retrouvé sur une deuxième page du blog que j'avais également ouverte... Aie ! Aie ! Aie !

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  7. J'ai beaucoup aimé "Le gout des pépins de pommes"
    Et je vais me trouver le "L'envol du héron". Je suis une grande spécialiste de l'insomnie :-(
    J'y trouverais sûrement quelques pistes pour dédramatiser mes nuits blanches (ou presque) J'ai déjà France inter et France Culture ou Europe pour me tenir compagnie selon la tonalité douce ou non de la voix de l'animateur.:-)
    Je ne connaissais pas le terme une somnologue il me plaît beaucoup :-)
    A plus tard !

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    1. Le vol du héron est magnifiquement écrit, mais très sombre: sa lecture peut-elle faire sombrer dans le sommeil?
      Pour le poème, ce n'est pas grave, je peux toujours le réécrire, je pensais justement le modifier encore

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  8. "Le vol du heron" me tente, je note... avec les odeurs et les couleurs du printemps sa lecture devrait bien se passer.

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  9. "Le goût des pépins de pomme" me fait penser à la mère d'Andrei Makine qui faisait "petite pomme" lorsqu'on la prenait en photo...
    (Mlle P fait "kiwi !")

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