On peut admirer, dans le musée rénové de Saint-Lô l'épée d'académicien
d'
Octave Feuillet ,romancier et dramaturge, qui fut le premier écrivain élu à l'
Académie Française (en 1862) au titre de romancier.
Il succéda au fauteuil d'
Eugène Scribe et eut comme successeur
Pierre Loti qui introduisit son éloge en ces termes:
« Sa vie, toute d’honneur pur, de délicatesse rare, elle a coulé comme une belle eau limpide, jamais troublée, jamais effleurée même d’une souillure de surface. Je ne crois pas, cependant, qu’elle ait été une vie heureuse : les gens heureux n’écrivent pas d’aussi beaux livres que lui. »
Au musée des Beaux-Arts, l'ancien espace
Feuillet présentait l'inconvénient d'être exigu (lien
ici ),
ce n'est pas le cas de la nouvelle disposition des objets,bibelots et meubles qui perpétuent le souvenir de cet écrivain.
Sur ce dessin d'éventail dédié à Madame Octave Feuillet ,
fait pour être monté, sont notés les titres des romans de l'écrivain, parfois appelé ironiquement
"le Musset des familles".
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Valérie Feuillet, elle -même écrivain , a évoqué dans
Quelques années de ma vie puis
dans
Souvenirs et correspondances,ses souvenirs personnels et familiaux , mais aussi la vie politique, artistique et mondaine de son époque.
Elle fut pour son époux , comme nous le verrons plus loin, un soutien et une précieuse collaboratrice .
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Pierre Loti , dans son discours de réception à l'Académie Française, parle de la vie familiale de son prédécesseur intimement liée à son travail d'écrivain:
" Ce retour d’Octave Feuillet à Saint-Lô eut lieu en 1850 .Au printemps de l’année suivante, il épousa mademoiselle Valérie Feuillet, sa cousine, qui vint habiter avec lui dans le vieil hôtel familial.
Les salons ne se rouvrirent point pour elle ; aucun rayon de soleil ne pénétra, pour lui faire fête, dans les appartements humides et obscurs. Pour que rien ne fût dérangé, le triste vieillard pria même les jeunes mariés de se reléguer dans un petit appartement voisin du pavillon qu’il habitait lui-même. Et c’est là qu’ils vécurent près de huit années. Des treilles, qu’il ne fallait pas couper, de ces tristes vignes sans raisins des pays du Nord, masquaient presque entièrement leurs fenêtres. Entre les branches, ils apercevaient le jardin, aussi abandonné que la maison, avec ses statues couvertes de mousse qui verdissaient à l’ombre, et dont l’une — un petit Faune — riait gaîment en jouant de la flûte. — Plus d’une fois, pendant ces huit années de réclusion, les deux jeunes gens, attristés davantage par ce rire du petit Faune, se sont demandé comment il pouvait faire si joyeuse figure à si funèbre lieu.
Et c’est là qu’Octave Feuillet composa le premier de ses livres à grand succès : le Roman d’un jeune homme pauvre et ces autres, ensuite, que je trouve incomparablement plus beaux : Dalila, la Petite
Comtesse et le Village.
Il avait pourtant, dans sa prison de province, des heures de découragement infini, où il lui semblait que son esprit s’enveloppait d’ombre grise, — et alors il pleurait, la tête dans ses mains, disant avec cette sincérité de désespoir que les vrais grands sont seuls à connaître : « C’est fini de mon talent, tout s’en va, je ne vois plus rien ; encore quelques mois d’une vie pareille, et tout sera éteint pour jamais. » Sa jeune femme et sa belle- mère, toutes deux exquises, le réconfortaient doucement ; leur affection
l’aidait à vivre. Il avait aussi en leur jugement une confiance extrême et les consultait toujours sur ses œuvres avant de les livrer au public. Les soirs où il leur lisait le nouveau roman terminé étaient des soirs de fête, dans le vieil hôtel sombre, — mais de fête mystérieuse, très drôlement clandestine. C’est qu’il lisait avec la fougue d’un acteur jouant sur la scène, et alors il fallait veiller à ce que les éclats de sa voix ne parvinssent pas jusqu’à son père qu’ils auraient troublé. Il allait donc, en compagnie des deux femmes intelligentes et charmantes, s’enfermer dans une vieille office, située très loin de l’appartement du malade et dont la porte avait été, par surcroît de précaution, masquée d’un paravent... On ne se représente pas bien ces beaux romans d’élégance, ces fins et fiers dialogues, entre marquises et duchesses, lus délicieusement par lui, derrière une cuisine, dans cette cachette comique.
Ensuite venait le jugement de son père, qu’il fallait affronter en dernier ressort. Le vieillard, ennemi du bruit, lisait lui-même, seul dans sa chambre. Et pendant que durait cette lecture, Octave Feuillet vivait dans les plus cruelles angoisses. Il marchait à travers la maison, attendant fiévreusement le coup de sonnette qui l’appellerait auprès du lit du malade, pour y écouter une appréciation toujours sévère et jamais discutable.
Il y eut, entre autres, un manuscrit duquel le vieillard se montra si mécontent, qu’Octave Feuillet faillit le déchirer ; les supplications des deux femmes clairvoyantes qui, la veille, avaient entendu lire cette œuvre,réussirent à grand’peine à la sauver... Et c’était le Village, le délicieux Village, petit drame d’une soirée qui se joue entre trois vieillards et qu’on ne peut lire sans que des larmes viennent, une des choses de lui qui resteront éternellement fraîches et ravissantes... "
Dans la suite de son discours, Pierre Loti fait un bref parallèle entre lui-même et Octave Feuillet pour mieux insister sur sa sensibilité et valoriser le rôle joué par son épouse:
"La phase la plus pénible de son travail était celle de la composition. C’est ici que celui qui parle devient plus incapable encore de bien comprendre et de bien juger. Et c’est ici surtout que nos différences s’accentuent— car, si nous avons plusieurs points communs dont je suis fier,
nous avons aussi d’extrêmes dissemblances. Je n’ai jamais composé un
livre, moi ; je n’ai jamais écrit que quand j’avais l’esprit hanté d’une chose,
le cœur serré d’une souffrance, — et il y a toujours beaucoup trop de moi-
même dans mes livres...
Lui, au contraire, était personnellement absent de son œuvre, — ce qui
fut le précepte d’art formulé dans la suite par Flaubert. Alors, il lui fallait trouver la donnée d’un livre, mettre sur pied les personnages ; placer,
dans le vide originel, chacune des scènes avec ordre, depuis celle du début
jusqu’à celle du dénouement. Et tout ce travail, dont l’idée seule m’épouvante, était pour lui un long supplice, redouté et adoré quand même.
C’était seulement lorsque se dessinaient bien, à ses yeux, ces personnages,
créés de toute pièce par lui et auxquels il avait le magique talent de donner une vie si intense, qu’il commençait à respirer un peu et à moins
souffrir. Et bientôt, ces figures, nées de lui, lui semblaient existantes tout
à fait. Avec madame Octave Feuillet, toujours intimement associée à ses
travaux, il causait de ces charmants fantômes comme s’ils eussent été en
chair et en os. Puis, quand le livre était achevé, quand il avait mis au bas le
mot : « Fin », il éprouvait une impression d’abandon et de solitude ; — une
impression de désespoir même si le dénouement avait été cruel, il versait
de vraies larmes sur ces femmes de rêve qui depuis tant de mois faisaient
partie de sa vie. Et alors, il lui arrivait de demander à madame Feuillet,
très affectueusement, avec beaucoup de sérieux et avec tout juste l’imperceptible et fin sourire qu’il fallait pour enlever à la question ce qu’elle
aurait eu d’enfantin : « Tu n’en es pas jalouse au moins ? »
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(Voir articles personnes
ici sur
Monsieur de Camors et
Julia de Trécoeur
et encore
là sur la
Clé d'or)