vendredi, septembre 04, 2015

Maison de poupée



Impossible d'envisager une sortie dans la Vallée de la Risle sans aller voir le musée de la Comtesse de Ségur, à Aube !
A l'âge de 55 ans, promue écrivain en 1856 avec Les Nouveaux contes de Fées, Sophie de Ségur, née Rostopchine, a rédigé vingt livres pour la jeunesse, un traité sur la santé des enfants, un Evangile et une Bible pour enfants, tous composés dans son château des Nouettes où, fuyant les mondanités parisiennes, elle recevait sa nombreuse descendance. Ce domaine, acheté en1820 grâce à la générosité de son père, vendu en 1872, devenu préventorium, I.M.P. puis I.M.E. ne se visite pas.
Les souvenirs liés à la comtesse furent rassemblés dans l'ancien presbytère d'Aube, transformé en musée, en 1980, à l'initiative de son arrière-petite fille, Madame Arlette de Pitray, présidente-fondatrice de l'association des Amis de la Comtesse de Ségur. Cette véritable maison de poupées nécessiterait une seconde visite tant elle est riche en documents.



Commençons, au rez-de -chaussée, par les origines russes de Sophie.
Née à Saint-Pétersbourg le 1er avril 1799, le jour de la sainte Sophie, notre future femme de lettres était la fille du gouverneur de Moscou,Théodore Rostopchine, qui -dit-on-incendia la ville pour contrer l'avancée des troupes napoléoniennes. Sachant que Sophie, âgée de treize ans avait vu « pendant plus de huit jours, à trente-six lieues de la capitale, tout l'horizon en feu semblable à une aurore boréale », faut-il s'étonner des incendies qui dramatisent l'intrigue des Mémoires d'un âne ou de François le Bossu ?
Des gravures montrent le domaine paternel de Voronovo, à soixante vestes de Moscou, où dut se retirer Théodore, en disgrâce après l'assassinat du Grand-Duc héritier, Paul 1er, parrain de Nathalie, sa fille aînée. Ecoutons les vantardises du Général Dourakine : « 2000 ha de bois, 10 000 terres à labour, 20 000 de prairies, 4000 paysans, 300 vaches, 2000 moutons » pour nous représenter ce domaine, dont Sophie put trouver un vague reflet dans la propriété des Nouettes.
Un dessin évoque le servage en Russie, et la violence du knout. A l'instar d'autres aristocrates éclairés, Théodore Rostopchine fut favorable à l'affranchissement des serfs, tandis que son épouse se distingua par sa cruauté à leur égard.

Hostile à toute forme de frivolité, Catherine Rostopchine appliquait des principes éducatifs très stricts, comme, dans Les Malheurs de Sophie , ceux de Madame de Réan : « la même robe en percale blanche, décolletée et à manches courtes, des bas un peu gros et des souliers de peau noire. Ni chapeau, ni gants.» Interdiction de boire ou de manger entre les repas. Rien de surprenant à ce que la Sophie "fictive" un beau jour, dérobe et dévore le pain des chevaux, et qu'elle soit punie : « soupe et pain sec à dîner !» Heureusement, sa bonne lui donna, en cachette, des confitures .
Convertie au catholicisme sous l'influence d'un jésuite, Catherine Rostopchine poussa l'adolescente à se convertir elle aussi, au grand désespoir de son père . Et c'est une russe convertie qui tenait salon à Paris, qui favorisa le mariage de la jeune exilée avec le séduisant Eugène de Ségur, beau, mais désargenté et libertin ! Leur union fut célébrée le 14 juillet 1819 en l'église de l'Assomption à Paris.


Passons à l'étage: photographies, peintures, lettres, accessoires de mode, divers objets sous vitrine
et des mannequins de cire nous font partager la vie des Ségur à Paris et celle de la Comtesse aux Nouettes.
Ses réceptions campagnardes étaient très appréciées des habitués, notamment de Louis Veuillot , le polémiste et rédacteur en chef du journal catholique l'Univers. Conscient des dons de conteuse de son hôtesse, il l'incitera à prendre la plume, dans un contexte favorable puisque Louis Hachette cherchait à lancer, pour de jeunes lecteurs, une nouvelle collection de la Bibliothèque des Chemins de Fer. Eugène de Ségur, président de la Société des Chemins de fer de l'Est proposa son épouse qui devint l'auteur-phare de la Bibliothèque rose. Le premier contrat fut signé en octobre 1855 et la collaboration entre la Comtesse et son éditeur, représenté par Emile Templier dura jusqu'en 1871.
La charmante mise en scène que notre guide, Madame Nicole Thouret m'a aimablement autorisée à photographier pour notre revue nous plonge dans l'intimité de la maîtresse des lieux, entourée de trois « bons enfants ». Sur un secrétaire, près du piano, se trouve la partition du Faust de Gounod, qui aurait composé cette oeuvre au château, et qui, peut-être, aurait été l'amour secret de Sabine, devenue sœur de la Visitation à l'âge de trente ans. Il faut noter qu'après la prise de voile de Sabine, Sophie se fit soeur tertiaire. C'est d'ailleurs sous le nom de soeur Marie-Françoise du Sacrement qu'elle repose, près d'Auray, à Pluneret.

Le prélat, légèrement en retrait figure le fils aîné du couple Ségur : Louis-Gaston-Adrien (1820-1881) que rien ne destinait à priori à la carrière religieuse puisqu'il fit d'abord des études de droit et qu'il fréquenta l'atelier du peintre Paul Delaroche. Sur les murs, quelques unes de ses aquarelles manifestent ses dons artistiques. Est-ce sous l'influence de sa grand-mère, Catherine Rostopchine, qu'il devint dévot ? Ses hautes fonctions ecclésiastiques furent compromises par sa cécité, survenue en 1854. Cependant, il obtint le rang et les avantages d'un évêque démissionnaire, ce qui explique les couleurs noir et violet de l' habit religieux porté par le mannequin. Bien que Sophie se sentît d'abord ulcérée par la vocation de son fils, son attachement fut constant, et leurs liens très étroits.
Ce « bon Gaston » fut probablement, dans son œuvre, le modèle d'aveugles d'une angélique douceur, comme Juliette, l'amie du Bon petit Diable, Charles Mac Lance . Ses fonctions d'aumônier de la prison militaire de l'Abbaye infléchirent le regard porté par sa mère sur les repris de justice.


Pour finir, voici l'univers des petites filles modèles reconstitué dans une vitrine digne d'une gravure de Castelli, l'illustrateur favori de notre auteur .
Poupées vêtues à la mode du Second Empire, meubles miniatures d'autrefois, jouets anciens, dînettes, trousseaux, comme celui de la poupée de Marguerite, décrit avec précision en deux pages … ce charmant décor nous rappelle maint et maint épisode de la trilogie. Par exemple, l'idée de Sophie de préparer pour ses amies un thé à la crème avec l'eau de la gamelle du chien et de la craie pour nettoyer l'argenterie. « Dieu ! Que j'ai de l'esprit ! » répétait-elle d'un air enchanté. Ou encore, l'histoire de la ravissante boîte à ouvrage, cadeau paternel soi-disant destiné Madame de Réan, mais en réalité, prévu pour la fillette, en récompense de huit jours de sagesse. Hélas! Sophie vola le contenu de la boîte, mentit effrontément, puis « reçut le fouet de la bonne manière et il faut avouer qu'elle le méritait .»

Au cours de la visite de La Grosse Forge, il a été question de la Fortune de Gaspard (1866) roman quasi balzacien dans lequel la Comtesse de Ségur dépeint l'industrialisation de la vallée de la Risle et ses conséquences: essor de l'instruction publique, arrivisme, concurrence, affaiblissement du sentiment religieux. Peinture réaliste s'il en est, puisque les personnages de M. Feréor et de Gaspard ont eu pour modèles le maître de tréfilerie Pierre-Jean-Félix Mouchel et son fils adoptif. Les carnets Mouchel nous renseignent sur la métallurgie et sur les conditions de travail des ouvriers.
Fidèle à son principe "N'écris que ce que tu as vu", Sophie de Ségur, a su observer son époque tout en tirant parti de ses souvenirs, de son vécu familial et de son monde intérieur. Plus complexe qu'il n'y paraît, son oeuvre offre plusieurs niveaux d'interprétation, y compris celles de la sociocritique et de la psychanalyse. Quel plaisir, avec cette visite, de raviver nos lectures d'enfant !

M . S.

Pour en savoir plus:
Les cahiers séguriens (numéros 3, 8, 9) édités par l'association des amis de la Comtesse de Ségur.
Marie-Louise Audiberti, Sophie de Ségur née Rostopchine, l'inoubliable Comtesse,ses anges, ses diables, Stock, 1980
Claudine Beaussant, La Comtesse de Ségur ou l'enfance de l'art Robert Laffont, 1988
François Bluche, Le Petit monde de la Comtesse de Ségur, 1988

7 commentaires:

  1. Coucou Miss Yves.
    Tu nous plonge dans le mode merveilleux des contes.
    N'aurais tu pas croisé un Bon petit Diable ?
    Très bonne journée.
    A + ☺ ☼

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  2. Tu me rajeunis avec toutes mes lectures enfantines..;quel plaisir, j'aimais ce général "imbécile" (traduction de Dourak) Sophie et toute sa famille étaient les héros de papier d'une autre époque bien loin des barbies.

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  3. je ne connais pas les malheurs de sophie..je crois qu'il faut retourner en enfance pour rattraper ces lectures... enfant , je lisais des contes et légendes allemandes et nordiques... parfois cruelles..

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  4. quelle agréable visite que tu agrémentes d'un récit toujours aussi précis.... que j'ai aimé tous ces livres!!!!
    merci encore une fois pour le bon moment de nostalgie.. heureuse

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  5. J'ai relu il n'y a pas si longtemps les Malheurs de Sophie parce que le Musso que j'avais acheté ne m'emballait pas, d'ailleurs je ne l'ai pas terminé. Ce fut mes premières lectures de petite fille à Paris avec mon nounours Martin dans les bras. Un jour j'avais commencé les Mémoires d'un Ane mais je n'ai pas pu le finir, c'était trop triste.
    Merci pour cette belle et intéressante publication.

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  6. Tu nous rajeunis de quelques années ! ♥

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  7. Quel plaisir ce billet! Tu as l'art de nous créer une revue, de nous faire prendre des raccourcis et de, comme tu l'écris si bien "raviver nos lectures d'enfant."
    On aurait en effet bien eu envie de jeter un coup d’œil dans le château des Nouettes.

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