Impossible
d'envisager une sortie dans la Vallée de la Risle sans aller voir le
musée de la Comtesse de Ségur, à Aube !
A
l'âge de 55 ans, promue écrivain en 1856 avec Les
Nouveaux contes de Fées,
Sophie de Ségur, née Rostopchine, a rédigé vingt livres pour la
jeunesse, un traité sur la santé des enfants, un Evangile et une
Bible pour enfants, tous composés dans son château des Nouettes où,
fuyant les mondanités parisiennes, elle recevait sa nombreuse
descendance. Ce domaine, acheté en1820 grâce à la générosité de
son père, vendu en 1872, devenu préventorium, I.M.P. puis I.M.E. ne
se visite pas.
Les
souvenirs liés à la comtesse furent rassemblés dans l'ancien
presbytère d'Aube, transformé en musée, en 1980, à l'initiative
de son arrière-petite fille, Madame Arlette de Pitray,
présidente-fondatrice de l'association
des Amis de la Comtesse de Ségur.
Cette véritable maison de poupées nécessiterait une seconde visite
tant elle est riche en documents.
Commençons, au
rez-de -chaussée, par les origines russes de Sophie.
Née
à Saint-Pétersbourg le 1er avril 1799, le jour de la sainte Sophie,
notre future femme de lettres était la fille du gouverneur de
Moscou,Théodore Rostopchine, qui -dit-on-incendia la ville pour
contrer l'avancée des troupes napoléoniennes. Sachant que Sophie,
âgée de treize ans avait vu « pendant
plus de huit jours, à trente-six lieues de la capitale, tout
l'horizon en feu semblable à une aurore boréale »,
faut-il s'étonner des incendies qui dramatisent l'intrigue des
Mémoires
d'un âne
ou de François
le Bossu ?
Des
gravures montrent le domaine paternel de Voronovo, à soixante vestes
de Moscou, où dut se retirer Théodore, en disgrâce après
l'assassinat du Grand-Duc héritier, Paul 1er, parrain de Nathalie,
sa fille aînée. Ecoutons les vantardises du Général
Dourakine : « 2000
ha de bois, 10 000 terres à labour, 20 000 de prairies, 4000
paysans, 300 vaches, 2000 moutons
» pour nous représenter ce domaine, dont Sophie put trouver un
vague reflet dans la propriété des Nouettes.
Un
dessin évoque le servage en Russie, et la violence du knout. A
l'instar d'autres aristocrates éclairés, Théodore Rostopchine fut
favorable à l'affranchissement des serfs, tandis que son épouse se
distingua par sa cruauté à leur égard.
Hostile
à toute forme de frivolité, Catherine Rostopchine appliquait des
principes éducatifs très stricts, comme, dans Les
Malheurs de Sophie ,
ceux de Madame de Réan : « la
même robe en percale blanche, décolletée et à manches courtes,
des bas un peu gros et des souliers de peau noire. Ni chapeau, ni
gants.»
Interdiction de boire ou de manger entre les repas. Rien de
surprenant à ce que la Sophie "fictive" un beau jour,
dérobe et dévore le pain des chevaux, et qu'elle soit punie :
« soupe
et pain sec à dîner !» Heureusement,
sa bonne lui donna, en cachette, des confitures .
Convertie
au catholicisme sous l'influence d'un jésuite, Catherine Rostopchine
poussa l'adolescente à se convertir elle aussi, au grand désespoir
de son père . Et c'est une russe convertie qui tenait salon à
Paris, qui favorisa le mariage de la jeune exilée avec le séduisant
Eugène de Ségur, beau, mais désargenté et libertin ! Leur
union fut célébrée le 14 juillet 1819 en l'église de l'Assomption
à Paris.
Passons à l'étage:
photographies, peintures, lettres, accessoires de mode, divers objets
sous vitrine
et
des mannequins de cire nous font partager la vie des Ségur à Paris
et celle de la Comtesse aux Nouettes.
Ses
réceptions campagnardes étaient très appréciées des habitués,
notamment de Louis Veuillot , le polémiste et rédacteur en chef du
journal catholique l'Univers.
Conscient des dons de conteuse de son hôtesse, il l'incitera à
prendre la plume, dans un contexte favorable puisque Louis Hachette
cherchait à lancer, pour de jeunes lecteurs, une nouvelle collection
de la Bibliothèque
des Chemins de Fer.
Eugène de Ségur, président de la Société des Chemins de fer de
l'Est proposa son épouse qui devint l'auteur-phare de la
Bibliothèque
rose. Le
premier contrat fut signé en octobre 1855 et la collaboration entre
la Comtesse et son éditeur, représenté par Emile Templier dura
jusqu'en 1871.
La
charmante mise en scène que notre guide, Madame Nicole Thouret m'a
aimablement autorisée à photographier pour notre revue nous plonge
dans l'intimité de la maîtresse des lieux, entourée de trois
« bons
enfants ».
Sur un secrétaire, près du piano, se trouve la partition du Faust
de Gounod, qui aurait composé cette oeuvre au château, et qui,
peut-être, aurait été l'amour secret de Sabine, devenue sœur de
la Visitation à l'âge de trente ans. Il faut noter qu'après la
prise de voile de Sabine, Sophie se fit soeur tertiaire. C'est
d'ailleurs sous le nom de soeur Marie-Françoise du Sacrement
qu'elle repose, près d'Auray, à Pluneret.
Le prélat, légèrement
en retrait figure le fils aîné du couple Ségur :
Louis-Gaston-Adrien (1820-1881) que rien ne destinait à priori à
la carrière religieuse puisqu'il fit d'abord des études de droit et
qu'il fréquenta l'atelier du peintre Paul Delaroche. Sur les murs,
quelques unes de ses aquarelles manifestent ses dons artistiques.
Est-ce sous l'influence de sa grand-mère, Catherine Rostopchine,
qu'il devint dévot ? Ses hautes fonctions ecclésiastiques
furent compromises par sa cécité, survenue en 1854. Cependant, il
obtint le rang et les avantages d'un évêque démissionnaire, ce qui
explique les couleurs noir et violet de l' habit religieux porté par
le mannequin. Bien que Sophie se sentît d'abord ulcérée par la
vocation de son fils, son attachement fut constant, et leurs liens
très étroits.
Ce
« bon
Gaston »
fut probablement, dans son œuvre, le modèle d'aveugles d'une
angélique douceur, comme Juliette, l'amie du Bon
petit Diable,
Charles Mac Lance . Ses fonctions d'aumônier de la prison
militaire de l'Abbaye infléchirent le regard porté par sa mère sur
les repris de justice.
Pour
finir, voici l'univers des petites
filles modèles
reconstitué dans une vitrine digne d'une gravure de Castelli,
l'illustrateur favori de notre auteur .
Poupées
vêtues à la mode du Second Empire, meubles miniatures d'autrefois,
jouets anciens, dînettes, trousseaux, comme celui de la poupée de
Marguerite, décrit avec précision en deux pages … ce charmant
décor nous rappelle maint et maint épisode de la trilogie. Par
exemple, l'idée de Sophie de préparer pour ses amies un thé à la
crème avec l'eau de la gamelle du chien et de la craie pour nettoyer
l'argenterie. « Dieu !
Que j'ai de l'esprit ! »
répétait-elle d'un air enchanté. Ou encore, l'histoire de la
ravissante boîte à ouvrage, cadeau paternel soi-disant destiné
Madame de Réan, mais en réalité, prévu pour la fillette, en
récompense de huit jours de sagesse. Hélas! Sophie vola le contenu
de la boîte, mentit effrontément, puis « reçut
le fouet de la bonne manière et il faut avouer qu'elle le
méritait .»
Au
cours de la visite de La
Grosse Forge,
il a été question de la Fortune
de Gaspard (1866)
roman quasi balzacien dans lequel la Comtesse de Ségur dépeint
l'industrialisation de la vallée de la Risle et ses conséquences:
essor de l'instruction publique, arrivisme, concurrence,
affaiblissement du sentiment religieux. Peinture réaliste s'il en
est, puisque les personnages de M. Feréor et de Gaspard ont eu pour
modèles le maître de tréfilerie Pierre-Jean-Félix Mouchel et son
fils adoptif. Les carnets Mouchel nous renseignent sur la métallurgie
et sur les conditions de travail des ouvriers.
Fidèle
à son principe "N'écris
que ce que tu as vu",
Sophie de Ségur, a su observer son époque tout en tirant parti de
ses souvenirs, de son vécu familial et de son monde intérieur. Plus
complexe qu'il n'y paraît, son oeuvre offre plusieurs niveaux
d'interprétation, y compris celles de la sociocritique et de la
psychanalyse. Quel plaisir, avec cette visite, de raviver nos
lectures d'enfant !
M . S.
Pour
en savoir plus:
Les
cahiers séguriens (numéros 3, 8, 9) édités par l'association des
amis de la Comtesse de Ségur.
Marie-Louise
Audiberti, Sophie
de Ségur née Rostopchine, l'inoubliable Comtesse,ses anges, ses
diables, Stock,
1980
Claudine
Beaussant, La
Comtesse de Ségur ou l'enfance de l'art Robert
Laffont, 1988
François
Bluche, Le
Petit monde de la Comtesse de Ségur,
1988
Coucou Miss Yves.
RépondreSupprimerTu nous plonge dans le mode merveilleux des contes.
N'aurais tu pas croisé un Bon petit Diable ?
Très bonne journée.
A + ☺ ☼
Tu me rajeunis avec toutes mes lectures enfantines..;quel plaisir, j'aimais ce général "imbécile" (traduction de Dourak) Sophie et toute sa famille étaient les héros de papier d'une autre époque bien loin des barbies.
RépondreSupprimerje ne connais pas les malheurs de sophie..je crois qu'il faut retourner en enfance pour rattraper ces lectures... enfant , je lisais des contes et légendes allemandes et nordiques... parfois cruelles..
RépondreSupprimerquelle agréable visite que tu agrémentes d'un récit toujours aussi précis.... que j'ai aimé tous ces livres!!!!
RépondreSupprimermerci encore une fois pour le bon moment de nostalgie.. heureuse
J'ai relu il n'y a pas si longtemps les Malheurs de Sophie parce que le Musso que j'avais acheté ne m'emballait pas, d'ailleurs je ne l'ai pas terminé. Ce fut mes premières lectures de petite fille à Paris avec mon nounours Martin dans les bras. Un jour j'avais commencé les Mémoires d'un Ane mais je n'ai pas pu le finir, c'était trop triste.
RépondreSupprimerMerci pour cette belle et intéressante publication.
Tu nous rajeunis de quelques années ! ♥
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RépondreSupprimerQuel plaisir ce billet! Tu as l'art de nous créer une revue, de nous faire prendre des raccourcis et de, comme tu l'écris si bien "raviver nos lectures d'enfant."
On aurait en effet bien eu envie de jeter un coup d’œil dans le château des Nouettes.