samedi, février 23, 2013

Octave Feuillet (2): Portraits croisés

Fançois Bonvin,(1817-1887), Portrait d'Octave feuillet avec une scène de chasse, Huile sur toile.
 (Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô)






Peu visible sur cette photo, la scène de chasse à l'arrière-plan n'évoque nullement les loisirs et les goûts personnels de l'écrivain, mais le rituel de la cour - A Compiègne ou à Fontainebleau - auquel tout courtisan  devait se conformer.
D'après de nombreuses lettres à son épouse, on  devine Octave Feuillet plus intéressé par ses conversations avec l'Impératrice, les excursions , les pique-niques en forêt ou la découvertes de ruines  antiques (à Champlieu ) que par les exploits cynégétiques: "Les chasseurs, l'Empereur au milieu, s'avançaient en même temps que cette ligne de rabatteurs et tiraient continuellement sur le malheureux gibier.Nous marchions, nous autres, au centre de la ligne en groupes confus, foulant aux pieds les pauvres victimes  de cette boucherie  dont un grand nombre n'étaient que blessées; nous avons fait de la sorte une bonne lieue à travers quinze cents cadavres".
D'ailleurs, son insistance  sur le mauvais temps et l'incommodité occasionnée en dit long:"Il pleuvait à torrents.l'Impératrice n'en descendit pas moins de voiture et nous la suivîmes en piétinant dans l'herbe mouillée, jusqu'auprès de l'Empereur"(...)
L'Empereur fit faire une nouvelle battue pour les dames dans l'enceinte de la faisanderie.Madame de Metternich manqua tous les faisans et faillit ne pas nous manquer.Nous avons couru d'assez grands dangers.Pourtant elle finit par tuer un pauvre petit lapin , qui roula trois ou quatre fois sur lui-même, d'une façon plaisante et triste.  Quelques années de ma vie (Chapitre XXII) Calmann-Lévy 1894

Voilà un portrait à caractère officiel qui cadre bien mal avec le vrai caractère de son modèle!
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Jules-Louis Machard (1859-1900), portrait de Valérie Feuillet (1831-1906), huile sur toile. (Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô)



Fille d'Ernest Dubois,   ( maire de Saint-Lô entre 1848 et 1868)  Valérie Dubois , âgée de 19 ans, épousa son cousin Octave Feuillet, qui en avait trente,  le 25 mars 1851.
Cette union se fit malgré  la désapprobation de sa grand-mère  Madame de Quigny  - en réalité sa grand-tante, qui avait élevé sa mère, Elvire Le Conte de Sainte-Suzanne.
Apprenant le projet de mariage , Madame de Quigny avait déclaré:"Il faut avoir la rage de marier sa fille pour la donner à ce fils mangeur de rois!" Elle qui avait sauvé son père de la guillotine en 1793 ne pouvait pardonner au futur beau-père de la jeune fille ses opinions libérales.

Ses souvenirs personnels mêlés à une fine observation des moeurs sont relatés dans deux volumes -quasiment introuvables- dont le premier a été couronné par l'Académie Française: Quelques années de Ma Vie.( Calmann-Lévy 1894)

Il commence par des  épisodes de la Terreur, avec la généalogie et l'histoire de ses ancêtres maternels pour se terminer avec l'évocation de la guerre de 1870 et de la Commune.Y sont présentés sa vie familiale , la carrière littéraire et l'ascension mondaine de son époux. Elle reproduit  des lettres de son époux qui nous renseignent sur la vie à la cour de  Napoléon III . Ses opinions plutôt conservatrices vont de pair avec une certaine liberté  d'esprit, et un sens aigu du  ridicule, même lorsqu'elle en est la cible! Le ton de la correspondance entre les époux est plein de tendresse: "mon enfant chérie", chère petite", ma chérie, chère petite amie" sont les formules récurrentes utilisées par Octave Feuillet, dont l'extrême sensibilité, la propension à la neurasthénie trouvaient un soutien en la personne de son épouse. Cette  autobiographie sincère, bien tournée  est extrêmement plaisante à lire: sa vivacité et ses joies de jeune fille, ses tourments maternels , ses doutes religieux, sa malice nous rendent l'auteur extrêmement sympathique .

Le deuxième volume, Souvenirs et Correspondances   va de  1868 à 1879 , au gré des  déambulations et voyages du couple  en France, en Angleterre, en Suisse, selon les aléas politiques.
La vie des Feuillet se ressent fortement de l'instabilité des temps, et bien que  leurs sympathies monarchiques présentent des risques ,  ils s'y tiendront .

Tout d'abord, Valérie  revient deux ans en arrière ,  avant la guerre de 1870, elle décrit  sa vie en Normandie - à Saint- Lô dans la demeure des Palliers pendant que son mari était "appelé à Paris, tantôt par ses devoirs académiques, tantôt par les répétitions de ses pièces". Les  détails savoureux abondent sur la vie artistique de l'époque! Puis il est question du climat politique: Octave Feuillet avait  réfléchi à  des réformes : faire de l'Empire une royauté constitutionnelle, décentraliser la France à grande échelle," instituer dans tout le pays un vaste système de libertés locales", "oeuvre essentiellement libérale et démocratique"destinée à asseoir l'autorité de l'Empereur".
La guerre déclarée, Valérie s'exile à Jersey avec ses enfants tandis qu'Octave reste en Normandie et participe à la défense du pays. Après la guerre, c'est le retour en France mais  en 1872 , horrifié par la Commune, Octave prie Valérie de chercher en Suisse un pensionnat qui convienne à l'éducation de leurs deux fils."J'avoue , écrit-elle, qu'il me parut désolant  d'envoyer ces enfants si loin  de nous  et de confier à des étrangers le soin de former leur âme,mais j'obéis pourtant."
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Edouard Brandon, (1831-1897), Jacques et Richard Feuillet, 1867, huile /toile. (Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô)


Quête vaine,  tant les pensionnats visités semblent peu fiables  . Finalement, leur père décide de confier ses fils aux dominicains d'Arcueil.
Lisons la scène de la  séparation:
"Il y eut, malgré la sécurité que j'emportais, un grand déchirement. Les petits s'accrochaient à ma robe, sanglotant dans mes bras,appelant leur père,Saint-Lô, leurs chers Palliers, tremblant à la pensée d'entendre les lourdes portes du couvent se fermer sur leur mère, qui allait regagner la pays sans eux"

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Felix Philipoteaux(1815-1881), Portrait d'André Feuillet (1852-1860), mine de plomb et fusain , sur papier. (Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô)



Gustave Craukbuste en marbre de carrare d'André Feuillet, fils aîné D'Octave et de Valérie Feuillet, mort à l'âge de sept ans.
                                                    (Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô)
(A suivre )
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Grâce à Tilia

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19 commentaires:

  1. Je viens de passer un bon moment de lecture. Tu es une passionnée, Miss Yves, je t'admire pour cela.
    Pour répondre à ta question d'hier, j'ai pris mes petites boules jaunes en macro.

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  2. Très instructif que tout cela!
    Merci du partage.
    Bon weekend A + :))

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  3. Merci de touts ces informations,j adore !

    tres belle "visite" ;o)

    bon w end !

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  4. Tu as l’esprit badin ce matin.
    Pour compléter ton com chez moi:
    D'où l’expression souvent entendue "Bifteck de cheval" elle va finir par être reconnue dans le dictionnaire...MDR
    A + :))

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  5. Donc de très beaux compte-rendus de la vie de l'époque et un certain humour si on en juge par les extraits que tu as choisis.

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  6. De l'humour et de l'auto_dérision qui donnent du sel à des récits qui auraient pu être conventionnels

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  7. Je ne connaissais pas tant que ça la famille Feuillet, grâce à toi c'est chose faite !!!
    Il a neigé et il neigeote de nouveau, à l'instant...

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  8. Merci pour les explications sur la gravure.
    Ce matin il est tombé de tout petits flocons. Le soleil ne se montre pas beaucoup aujourd'hui et il fait très froid.
    Sur ce je vais aller m'occuper de la cheminée.

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  9. ah! que ça fait du bien de te lire... jaime énormément tes chroniques littéraires ou artistiques et les autres.
    merci Miss pour la classe du dimanche!

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  10. Marguerite-Marie, fidèle lectrice, merci!Bon dimanche!

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  11. Je ne connaissais absolument pas Octave Feuillet. J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ta présentation !
    Bon dimanche à toi !

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  12. Je l'avais pressenti dans ton précédent billet, Octave Feuillet était un homme de cœur. Tout comme Valérie Dubois (sa cousine et épouse) était une femme de cœur, cela se voit sur son portrait.
    Grâce à toi, je viens de survoler "Quelques années de ma vie" (grand merci pour l'indication de ce volume de souvenirs), y notant au passage un paragraphe qui confirme une information concernant l'entourage de ma mystérieuse belle dame du XIXe, dont j'ai déjà annoncé plusieurs fois l'entrée dans mon grenier par des billets préliminaires. Apparition toujours reportée (pour diverses raisons et obligations contrariantes) mais qui se fera, c'est certain !

    Bien d'accord avec toi pour éprouver de la sympathie pour Mme Feuillet. Tout comme on ne peut manquer d'en éprouver en lisant les mémoires de Pauline de Metternich, autre dame de la cour impériale possédant un joli brin de plume.
    Le portrait des deux garçons en robe est touchant et celui de leur frère parti rejoindre les anges est très émouvant.
    Maintenant je vais attendre avec impatience la suite de cette passionnante série sur Octave Feuillet :)

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  13. Je l'avais pressenti dans ton précédent billet, Octave Feuillet était un homme de cœur. Tout comme Valérie Dubois (sa cousine et épouse) était une femme de cœur, cela se voit sur son portrait.
    Grâce à toi, je viens de survoler "Quelques années de ma vie" (grand merci pour l'indication de ce volume de souvenirs), y notant au passage un paragraphe qui confirme une information concernant l'entourage de ma mystérieuse belle dame du XIXe, dont j'ai déjà annoncé plusieurs fois l'entrée dans mon grenier par des billets préliminaires. Apparition toujours reportée (pour diverses raisons et obligations contrariantes) mais qui se fera, c'est certain !

    Bien d'accord avec toi pour éprouver de la sympathie pour Mme Feuillet. Tout comme on ne peut manquer d'en éprouver en lisant les mémoires de Pauline de Metternich, autre dame de la cour impériale possédant un joli brin de plume.
    Le portrait des deux garçons en robe est touchant et celui de leur frère parti rejoindre les anges est très émouvant.
    Maintenant je vais attendre avec impatience la suite de cette passionnante série sur Octave Feuillet :)

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  14. Tilia:
    Tu piques ma curiosité concernant "la belle dame du XIX ème siècle", d'autant plus que je fréquente ton grenier depuis peu de temps, et que je ne peux saisir tes allusions.
    Pauline de Metternich...
    Est-ce que ce sont ses souvenirs qui sont présentés ainsi dans "La Lettre et la Plume, collection de pOche":
    "Je ne suis pas jolie, je suis pire"
    Dans la même collection figurent les Mémoires du duc de Saint-Simon,
    Merci de l'intérêt que tu manifestes!(Et pour le lien )

    Tu vas découvrir des choses charmantes mais aussi très émouvantes dans les deux billets suivants

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  15. Derrière l'homme cherchez la femme... Une famille bien sympathique. Les séparations sont l'occasion des effusions de tendresses et ravivent l'amour et l'affection.

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  16. Dans "Je ne suis pas jolie, je suis pire - Souvenirs 1858-1871", Pauline de Metternich mentionne effectivement une anecdote concernant la belle et mystérieuse dame du XIXe siècle dont j'ai plusieurs fois annoncé l'arrivée dans mon grenier. Mais je n'en dirai pas plus, ne souhaitant pas révéler avant son entrée en scène la véritable identité de celle que j'appelle aussi Madame X :)
    Pour le reste, je te réponds plus précisément sur le billet où tu as laissé ton dernier message au grenier.

    Bises et belle journée, malgré la grisaille qui accompagne la neige (du moins ici, en région parisienne)

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  17. Si cela avait été écrit sur papier, j'aurais pu écrire 'je feuilletai ces quelques pages avec plaisir'. Feuilleter sur internet n'est pas pareil.

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  18. Hélène: d'accord avec toi. C'est pourquoi je suis satisfaite d'avoir sous la main les deux volumes des souvenirs de Valérie Feuillet

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  19. Anonyme2:15 AM

    •✰ •✰ •✰ •✰ •✰ •✰
    Bonjour et merci pour cette publication très intéressante !!!! ✿✿彡

    Bonne continuation Chère Miss_Yves !!!!
    GROS BISOUS ensoleillés ! ✿✿彡
    •✰ •✰ •✰ •✰ •✰ •✰

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