Dimanche 12 mars 2012
Conférence-concert, sur le thème des créatrices en musique, en l'honneur de la journée de la femme.
Invitation des Amis des musées municipaux , avec pour décor les tableaux lumineux du peintre abstrait Bertrand-Moulin
Après avoir présenté organisateurs et artistes , Madame Suzanne Leclerc, Présidente de l'AAMM , a précisé que cette initiative de l'Orchestre régional de Basse-Normandie était un honneur pour
l' association.
En préambule, la conférencière a fait un bref historique .
Dans les programmes de concerts, le pourcentage minime d'oeuvres dues à des femmes occulte la réalité: par le passé, celles-ci ont été nombreuses à composer, mais l'Histoire a préféré les oublier, les reléguant , à la rigueur , dans le rôle d'interprètes.
A ce propos, il faut noter que la pratique même de certains instruments leur a été longtemps refusée, pour des raisons de "décence" : la flûte , ou le violon, l'un parce qu'il repose sur la poitrine de l'interprète, l'autre, parce qu'il y a contact avec sa bouche.
Seul le piano , qui ne fait intervenir que les doigts de l'interprète , a pu trouver grâce devant les censeurs.
La causerie de Florence Launay condensait la thèse 750 pages qu'elle a consacrée à ce sujet et qui a abouti en 2006 à la publication chez Fayard de l'ouvrage Les compositrices en France au XIX ème siècle.
(lien /blog ici)
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Virginie Morel (1789-1869), Louise Farrenc (1804-1875), Armande de Polignac (1876-1962), Germaine Taillerferre (1892- 1983), Elsa Barraine (1910-1999), Claude Arrieu (1903-1990), Florentine Mulsant (née en 1962), Cécile Chaminade (1857-1944) .
Le commentaire qui introduisait chaque pièce et la virtuosité de la pianiste ont mis en valeur les qualités de ces créatrices, longtemps méconnues -et souvent décriées pour le simple fait d'être des femmes.
Ainsi, le public a pu apprécier la tonalité néo-classique et l'humour léger de Claude Arrieu; le style germanique des Etudes de Virginie Morel, louées par Robert Schumann en personne; les qualités "d'équilbre et de force un peu sauvage", qu'appréciait Emile Vuillermoz chez Armande de Polignac, un"Stravinsky au féminin" selon lui.
L'interprétation de l'air russe varié (Op. 17 ) de Louise Farrenc a parfaitement justifié les éloges dont , en leur temps, avaient été l'objet "ses canons pleins d'élégance, ses lignes mélodiques vives, percutantes, fermes, achevées, au léger parfum romantique"
C'est à propos de Louise Farrenc qu'Adrien de la Farge , dès 1847, avait souhaité que fût employé le féminin "compositrice "à la place de l'expression "femme compositeur".
Si Robert Schumann avait déjà joué les précurseurs en l'utilisant, ce terme de "compositrice" ne fut officialisé qu'à partir de 1932.
La carrière de Germaine Tailleferre ( 1892-1983) , seule femme du groupe des Six illustre les difficultés des musiciennes à se faire admettre dans le domaine de la création. Desservie, de son propre aveu, par un tempérament peu combatif, elle eut du mal à s'imposer, dans les années 19 20-1930, époque discriminatoire pour les compositrices et les interprètes, et ce , jusqu'aux années 60 où les auditions d'orchestres de femmes se faisaient ...derrière un paravent!
Dans ses Mémoires à l'emporte-pièce, (1974) elle raconte qu'en dépit du soutien d'Arthur Rubinstein, sa réussite lui "paraissait illusoire". Elle "détestait" sa musique et un jour ," elle rougit de honte "en entendant une interprétation triomphale de sa première sonate pour piano et violon, mais erronée.
Elsa Barraine (1910-1962) proche de Chostakovitch, a été redécouverte récemment . Elle a obtenu en 1928, un second prix de Rome, l'obtention du Grand Prix de Rome restant très difficile pour les femmes.
Il faut d'ailleurs rendre hommage à Joseph Chaumié, ministre de l'Instruction publique en 1902, qui a permis aux femmes d'accéder aux concours.
Les procès-verbaux d'une séance de 1903 rendent compte du climat houleux et des avis misogynes, entre autres celui du peintre Luc-Olivier Merson :"Je proteste contre ce projet attentatoire à la dignité morale , à la force et l'honneur de l'art français alors que le devoir de l'Institution serait de le défendre contre ses nombreux ennemis."
Les cas respectifs de Claude Arrieu , de Florentine Mulsant et de Cécile Chaminade sont autant d'exemples de l'ostracisme à l'égard des femmes cantonnées dans un rôle de procréatrices, de muses ou d'interprètes au détriment de celui de créatrices
Avec la première se pose la question du choix d'un pseudonyme ambigu ou neutre (Claude, ou Mel pour Mélanie Bonis ), stratagème pas si courant et qu'elle a regretté d'avoir employé, marquée par les difficultés qu'avait eues sa propre mère à s'imposer comme compositrice.
Florentine Mulsant, auteure contemporaine (site internet ici) constate que les réseaux musicaux féminins sont moins développés que ceux des hommes. La quasi totalité de ses oeuvres est publiée chez l'éditeur allemand Furore Verlag, un des rares à éditer de la musique composée par des femmes. Facilité qui comporte le risque d'enfermement dans un" ghetto féminin".
Plusieurs anecdotes révèleront la mauvaise foi des critiques vis à vis des créations féminines:
Cécile Chaminade, longtemps mésestimée, mais heureusement redécouverte , notamment dans le cadre des Folles Journées de Nantes en a fait les frais. Dans un programme où figurait son nom, un critique condescendant commenta ainsi son trio numéro 2:"Etait-il nécessaire d'infliger à nos oreilles ce trio en la mineur bien fait, constant et inconsistant?"
Quant à la sonate pour piano de Mel Bonis, digne de César Franck, elle fut qualifiée "d'ouvrage de dames".
Une feinte de Rebecca Clarke ( 1886-1979) avait mis en lumière ce type de préjugés.
Le programme d'un concert comportant en totalité ses oeuvres, elle avait eu l'idée d'en attribuer la moitié à un soi-disant Antony Trent .
Or ,
la seule partie du programme à avoir bénéficié d 'éloges était celle de ce compositeur fictif, les oeuvres de la compositrice n'avaient reçu que des blâmes!
Il reste donc du chemin à parcourir pour que soit reconnu objectivement le talent des compositrices.
Florence Launay par la rigueur de son exposé, et Jeanne -Marie Golse, par son brio, ont apporté une magnifique contribution artistique à la défense des droits des femmes et à la reconnaissance de leurs dons.
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Sur l'étude de Florence Launay, un article de Mathilde Dubesset , ici
A propos d'Armande de Polignac, lien ici
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Autre lien ici (Les femmes et la musique, Denis Harvard de la Montagne)
A propos de Luc-Olivier Merson, lien ici (Cimetière du Père Lachase)
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RépondreSupprimerJe te remercie Chère Miss_Yves de nous faire participer à cette conférence/concert !
Extra !
GROS BISOUS
et bon mardi à toi ! :o)
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Coucou Miss Yves.
RépondreSupprimerImpossible de trouver le temps long chez toi, toujours de nouvelles découvertes.
Très bonne journée A + :))
Quel bel hommage tu fais là aux femmes, Miss Yves. Certains hommes resteront ce qu'il sont, des machos, des nombrilistes. Je ne sais si nous sommes leur avenir comme l' a dit Aragon, mais en tous les cas, ils sont besoins de nous, en occultant le côté "ménagère" de la femme, que feraient-ils sans nous ?
RépondreSupprimerLA lutte des femmes pour être reconnues a été longue et n'est pas encore terminée. (Voilà que je parle comme une révolutionnaire!) Il n'y a pas que les musiciennes/compositrices, il y a aussi les peintres qui ont eu du mal à s'imposer, et, ne les oublions pas, les femmes d'affaires et de politique.
RépondreSupprimerLes femmes de l'Histoire de France dont on parle le plus étaient les maîtresses des rois - et bien que certaines aient beaucoup influencé les choix en matière de politique, je crois qu'on en parle plus comme des femmes fatales.
D'ailleurs, c'est sans doute parce que l'homme a tellement peur d'admettre la supériorité de la femme qu'il fait tout pour la rabaisser...
RépondreSupprimerJ'envoie ce lien à une de mes amies portugaise qui ne pourrait qu'être d'accord avec ce qui est dit ici. Elle s'est elle-même, après avoir fait partie d'un orchestre de chambre, convertie au rôle de femme de concertiste et de femme professeur de piano qu'elle est toujours à ce jour avec un succès immense quand à l'avenir de ses élèves. Elle-même fut élève de Nadia Boulanger, une grande professeure et compositrice.
RépondreSupprimerThérèse: je ne l'ai pas noté dans ce compte-rendu, mais la conférencière nous a indiqué que l'accès à un concours prestigieux (à Vienne, je crois) restait interdit aux femmes! On croit rêver.
RépondreSupprimerClaude, tout le mérite en revient à nos invitées.
RépondreSupprimerQue j'aime ces billets qui donnent à lire, regarder, espérer...Il ne manquait que le son!!!
RépondreSupprimerUn concert-conférence où j'aurais aimé être mais j'étais sur la route... Ton billet et ses liens m'en donne une belle idée ! Merci !