vendredi, décembre 19, 2014

Au pays des Goubelins

Robert Lerouvillois ,  lauréat du 51 ème Prix littéraire du Cotentin, pour l'ensemble de son oeuvre a reçu sa récompense au château de Flamanville,sur la terre de ses ancêtres, dans un décor que le maire,Patrick Fauchon a présenté comme un patrimoine commun à tous, depuis  son achat par la commune en 1986.




Dans son discours, Patrice Pillet, conseiller général responsable de la culture a souligné ce qui relie Robert Lerouvillois, lauréat 2014 , Didier Decoin (Avec vue sur la mer, 2005), Eric Marie (2012, Dictionnaire normand-Français) et François David( 2014, Oeuvre poétique):
la capacité "à regarder et sentir la substance de notre terre d'Ichin".

Il  lui sait gré d'unir chroniques familiales, petite histoire et grande histoire ,  tout comme Gilles de Gouberville et d'allier sens  du détail et  sens du fantastique.

"Les images  étranges et saisissantes de l' oeuvre photographique, Immuables rochers de Flamanville, gardiens de mémoire
font penser  des goubelins sylvestres pétrifiés "rappellent la poésie de Côtis Capel. et illustrent cette pensée de Jean Rostand:

« En nous dévoilant ainsi une infranature insoupçonnée, on nous donne de nouveaux prétextes à regarder autour de nous, on augmente nos raisons d’estimer notre terre, on nous rattache à la planète par d’innombrables fils de beauté. Et aussi, quelle leçon de sagesse !
Il est toujours salutaire de rappeler à l’homme l’ubiquité de l’essentiel. »



Le président du Prix littéraire du Cotentin, Jean Levallois a , quant à lui , retracé le parcours familial, professionnel et politique du lauréat , sans escamoter la aléas de la maladie et de la souffrance.

Dans ses origines- père secrétaire de mairie militant , mère couturière avec des talents de peintre-il a lu la trame des deux derniers ouvrages qui ont compté pour l'attribution du prix,  Aux premières loges , un écolier du Cotentin dans la seconde guerre mondiale, et Immuables rochers de Flamanville.

Les titres savoureux de ses Chroniques de L'Astrolabe (Chante grenouille, Cherbourg n'est pas à conquerre, Jambe de bois) traduisent un bouillonnement de vie, la vie qu'un regard d'archéologue scrute et fait émerger de simples cailloux.
Il  était donc juste  que , pour l'anniversaire de la création du prix  littéraire du Cotentin par Pierre Godefroy
soit couronné un auteur attaché à ses racines , à  la mémoire  individuelle et collective.


Très ému, Robert Lerouvillois  a d'abord remercié les membres du jury , le Conseil général et le maire de Flamanville  pour avoir choisi, comme lieu de réception , la terre de ses ancêtres 
et cette demeure   qu'il sent peuplée  de" fantômes bienveillants ", depuis l'été 1959 où, étudiant en Lettres classiques,  il avait été autorisé par M. Rostand à consulter le Littré dans la bibliothèque du château. 

Même sentiment d'étrangeté en découvrant, dans l'ancienne mine de Diélette à  150 en -dessous du niveau de la mer, l'océan au-dessus des visiteurs, mais il est vrai qu'"à Flamanville , il ne faut s'étonner de rien" 
Est-ce un hasard si la remise de son prix , le 21 novembre 2014 coïncide avec la naissance de Jean-Marie Arouet, le 21 novembre 1694 alias Voltaire ?


Car notre auteur se réclame de Voltaire,pour  son horreur de l'injustice et pour son rationalisme.
Ainsi souligne -t-il avec malice les divergences entre le curé et l'instituteur à propos de la légende de saint-Germain tuant le dragon dans le trou  Baligan: fadaises pour l'un, fait véridique pour l'autre.

A propos du château lui-même, certaines "dieries" (comme l'écrivait Barbey d'Aurevilly) méritent d'être revues et rectifiées:
-Au XIXème siècle,  l'appellation fallacieuse  d"orangerie", alors qu'aucun oranger n'aurait pu supporter l'orientation au  nord de cette salle  où nous nous tenons,construite de 1730 à 1740  et dont le vrai nom était "la grande galerie pavée de marbre"



-Les deux tours crénelées , faisant de l'édifice "un vrai château du moyen-Age"alors qu'elles sont une création du XIX , à la manière de Viollet-Le-duc.
-Et cette  vieille tour  Jean-Jacques soi-disant  construite pour répondre au voeu du philosophe "de se retirer à Flamanville"...et qui date du XVIIème siècle!




S'il se réclame de l'esprit voltairien ,Robert Lerouvillois cultive aussi le goût du hasard objectif, cher aux surréalistes, comme l'ont révélé plusieurs anecdotes. Citons  cette rencontre récente, au salon du livre des Pieux, avec la fille d'un  professeur de Langues anciennes au lycée Condorcet , professeur qui l'avait incité à suivre cette voie.
Comme  ses livres, son discours marche  à sauts et à gambades, pour paraphraser Montaigne, promenant le public de l'univers des romans de Jules Verne découverts dans la bibliothèque scolaire, au  parc Emmanuel Liais -dont il a été conservateur- de l'Odyssée  (Chant VII) au musée Thomas Henri, devant un tableau de J.F.Millet; des paysages de Lucien Goubert , peintre ami de ses parents aux falaises de Flamanville et à ses rêveries devant les îles.


Ce très beau discours de remerciement a eu un écho très fort dans le public,  reconnaissant l'authenticité de   l'hommage rendu par " l'enfant du pays " à ses parents, ses maîtres et ses racines.


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"J'aime l'allure poétique, à sauts et à gambades ", écrit Montaigne

"Cette farcissure  est un peu hors de mon thème. Je m'égare, mais plutôt par licence que par mégarde . Mes fantaisies se suivent, mais parfois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique. J'ai passé les yeux sur tel dialogue de Platon mi parti d'une fantastique bigarrure, le devant à l'amour, tout le bas à la rhétorique. Ils  ne craignent point ces muances, et ont une merveilleuse grâce à se laisser ainsi rouler au vent, ou à le sembler. Les noms de mes chapitres n'en embrassent pas toujours la matière ; souvent ils la dénotent seulement par quelque marque, comme ces autres titres : l'Andrie, l'Eunuque, ou ces autres noms : Scylla, Cicéron, Torquatus. J'aime l'allure poétique, à sauts et à gambades . C'est un art, comme dit Platon , léger, volage, démoniaque. Il est des ouvrages en Plutarque où il oublie son thème, où le propos de son argument ne se trouve que par incident, tout étouffé en matière étrangère : voyez ses allures au Démon de Socrate. Ô Dieu, que ces gaillardes escapades, que cette variation a de beauté, et plus lors que plus elle retire au nonchalant et fortuit. C'est l'indiligent lecteur qui perd mon sujet, non pas moi ; il s'en trouvera toujours en un coin quelque mot qui ne laisse pas d'être bastant, quoiqu'il soit serré. Je vais au change, indiscrètement et tumultueusement. Mon style et mon esprit vont vagabondant de même. Il faut avoir un peu de folie qui ne veut avoir plus de sottise, disent les préceptes de nos maîtres et encore plus leurs exemples.
Montaigne, Essais, (III, 9) « De la vanité », 1580.

10 commentaires:

  1. Coucou Miss Yves.
    Nous n'en finissons pas des découvertes chez toi !
    Merci pour le partage.
    Très bon weekend.
    A + :o

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  2. Sans aucun doute un prix bien mérité pour cet enfant du pays..
    Un bel endroit pour cette remise de prix.
    Une publication très littéraire.

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  3. Tu dois bien te douter que le sur le petit écolier pendant la guerre devrait me plaire.

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  4. "de regarder et de sentir la substance de notre terre « d’ichin »" Comme c'est bien dit.
    Charmant lien sur les goubelins dont j'entends de temps en temps parler chez certains manchots!
    Rien que par le titre on a envie de lire "Chante-grenouille" je n'arrive pas a en voir d'extraits, dommage et ce n'est pas a la biblotheque de Toulouse que je vais le trouver :-)
    Une fin en beaute avec cet extrait des Essais!
    Joli travail Missive!

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  5. Quelle page magnifique... j'apprends, je découvre, j'admire...

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  6. En images et mots, un beau billet pour faire honneur à l'enfant du pays !
    Tu as su capter son émotion dans tes photos.
    Comme le dit Thérèse, rien que "Chante-grenouille" donne envie de découvrir ses écrits :-)

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  7. Vraiment une belle lumière sur toutes tes photos, d'intérieur ou d'extérieur.

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  8. J'afficherai Marie-Noël dans mon prochain billet. Merci beaucoup, pour ta belle trouvaille ! C'est probablement ma poétesse préférée. Elle a un sens des mots et du rythme qui me touche profondément.

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  9. Anonyme11:12 PM

    ✿⊱·.✿✿ミ Je te remercie chère Miss_Yves pour ce très beau reportage ! BRAVO ! Tu sais nous emmener avec talent dans des univers différents et c'est un vrai plaisir de te suivre.

    Bonnes fêtes à toi et aux tiens !!!!

    J'en profite pour vous envoyer du soleil ☼ ☼ ☼

    GROS BISOUS D'ASIE vers la Normandie (•ิ‿•ิ)✿

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  10. Mais comment se fait-il que j'ai raté ce si intéressant billet !!!
    Je reviendrai le relire plus lentement, en m'évadant sur les liens...
    Un bel écrin pour cette récompense bien méritée !

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